En finir ?
Dans une société qui prône à tous les coins de rues, la rapidité et l’efficacité, il me semble utile de faire un point sur le fait de finir et comment « finir » permet à la fois de prendre ses responsabilités et de gagner en confiance.
Après tout, pourquoi faudrait-il finir quoi que ce soit ? Quel problème y aurait-il à laisser les choses en plan ? Je ne parle pas ici des chantiers d’une vie ou de projets importants mais des tâches du quotidien, celles qui nous occupent chaque jour : faire à manger, dormir (le réveil matin n’empêche-t-il pas de finir de dormir ?), gérer tel dossier, fumer un clope ou boire un verre, toutes ces choses auxquelles nous ne prêtons plus attention et qui pourtant sont nos actions, celles-là même qui nous définissent qu’elles soient grandes ou petites.
Je crois que tout est projection en ce sens que chacune de nos actions est précédée par une pensée et que cette pensée est elle-même construite par nos croyances, notre volonté, nos limites et notre histoire, chaque pensée est le résultat d’une foule de stimuli dont la plupart sont inconscients et nous poussent à agir de telle ou telle manière et toujours pour protéger, d’une façon ou d’une autre, notre homéostasie. Si chaque action est le résultat d’une projection alors, la façon dont elle mise en œuvre l’est aussi. Chaque action en effet est la somme de nombreuses autres, plus petites, qui s’enchainent les unes aux autres pour, in fine, constituer une tâche. La façon dont nous réalisons nos actions est au moins aussi importante que l’action elle-même si l’on s’intéresse à la manière dont nous construisons notre propre histoire.
Quand la fin indique les moyens
Il n’y a qu’en finissant une action que l’on peut en être responsable, tant qu’elle n’est pas finie, l’intention n’est pas apparue. De même qu’une phrase, tant que son point final n’a pas été posé, son sens peut encore changer. Si vous faîtes un gâteau, tant que chaque ingrédient n’y a pas été intégré, tant que la cuisson n’a pas fait son œuvre, personne ne pourra dire s’il est bon ou pas et personne ne pourra vous féliciter ou vous blâmer … tant qu’il n’est pas terminé, vous pouvez encore tout changer.
Cette suite d’actions, c’est l’algorithme, celui qui sert de modèle à l’IA. Votre responsabilité n’est engagée que si vous pouvez dire « c’est fini ». Mais quand donc est-ce fini ? Quand le gâteau est cuit, quand il est à bonne température, quand il est servi ou quand il n’en reste plus ? C’est vous qui savez quand c’est fini ou plutôt, c’est vous qui le décidez et c’est précisément ce moment que vous choisissez qui décide de l’instant où votre responsabilité est engagée … ou pas. Si votre job n’est que de faire fondre le chocolat, votre responsabilité est engagée quand le chocolat est fondu sauf si votre mission est aussi de l’apporter au pâtissier car en chemin, vous pouvez trébucher et devoir tout recommencer. Si vous êtes le pâtissier, vous devrez alors manager les différents intervenants, éventuellement les former, collecter chaque ingrédient et les mélanger à votre goût ou selon votre objectif. En tout état de cause, c’est le point final que vous avez choisi qui définit à la fois votre responsabilité et la relation que vous entretenez avec elle. Imaginons donc que vous deviez faire un gâteau et que vous considériez que votre boulot s’arrête avant la mise au four. Vous délayez alors votre responsabilité en la partageant avec celui.celle qui est en charge de la cuisson. Il n’y a aucun problème à cela, c’est simplement une information sur votre rapport avec la notion de responsabilité.
Là où le bat peut éventuellement blesser, c’est si vous manquez de confiance en vous. En effet, en ne finissant pas totalement vous apprenez lentement à votre cerveau que vous n’avez pas toute la responsabilité de vos actes, que vous la diluez et ce faisant, vous vous empêchez de gagner en confiance. Si vous ne placez pas la fin au bon endroit, vous ne pouvez simplement pas savoir si votre action est ratée ou réussie et vous laissez votre manque de confiance en juger lui-même. Restons sur le gâteau, si vous vous arrêtez avant la cuisson, chacun.e – y-compris vous – aura la possibilité de dire que si le gâteau est réussi, c’est bien grâce à la cuisson et s’il est raté, à l’inverse, on pourra dire que c’est la pâte.
Il y a de multiples manières de finir : au bon moment (cf. « faites le test en bas de cette page) mais aussi avant ou après la fin. Pour certain.es d’entre vous, finir peut se faire en commençant autre chose, dormir par exemple (ce que je viens d’essayer de faire en pensant à cet article) et là, vous risquez de penser à ce que vous n’avez pas fini tout en commençant autre chose que vous ne faites pas correctement puisque vous pensez à la première tâche … là encore, vous perdez en confiance, celle de bien vous endormir ou celle de bien faire cette seconde chose que vous avez commencée.
Il n’est pas besoin d’être un top manager pour prendre toute la responsabilité de ses actes, il suffit de finir ce que nous commençons et c’est peut-être en cela un très bon enseignement que de dire aux enfants de finir leurs assiettes. Ils apprennent, entre autres, à prendre la responsabilité du remplissage, de leurs goûts tout en commençant à acquérir de la confiance.
Le terreau de la confiance
Le terreau de la confiance est probablement la responsabilité. En déresponsabilisant quelqu’un, on le prive de toutes chances d’avoir confiance en lui.elle et on augmente les peurs qui l’assaillent et qui l’empêchent d’avancer et il.elle aura tôt fait, puisqu’on lui a appris de faire ainsi, de rendre responsable la terre entière de ses propres maux. C’est pourquoi, à l’inverse et malgré un quasi sadisme apparent, une mère laissera son enfant apprendre à marcher bien qu’elle sache qu’il tombera un nombre incalculable de fois. Elle lui laisse cette responsabilité et c’est pourquoi il traversera ses peurs et aura confiance dans sa capacité à marcher.
Résumons-nous : c’est l’action qui définit qui je suis, l’action consiste à mettre mes pensées à l’extérieur de moi par un geste ou une parole explicite. Cette action, pour m’engager et donc participer à ma définition de moi, doit être finie. Elle se finie quand j’ai décidé qu’elle l’était, y-compris en plein milieu si c’est mon choix. Le choix du moment où elle est finie est essentiel puisqu’il va marquer la relation que j’entretiens avec mon action et réciproquement. Il va me permettre de regarder mon « œuvre » fièrement ou honteusement ou, parce qu’elle n’est pas finie, va m’empêcher de la voir. Cette responsabilité que j’ai face à mon action créera de la confiance ou au contraire un manque de confiance qui, à leur tour, alimenterons mes actions futures …
Et vous, avez-vous fini de lire cet article, quelles tentations de commencer autre chose ont eu lieu pendant sa lecture, quel rapport avez-vous entretenu avec vous-même simplement en lisant ces quelques lignes, qu’avez-vous contribué à construire de vous ?
Faites le test : regarder là où vous avez l’habitude de finir vos actions et aller plus loin : occupez-vous de la cuisson, ajoutez de la déco, coupez les parts pour servir vos convives ou votre famille, etc. Faites un pas de plus.
Autre possibilité : reculez d’un pas : ne finissez plus, volontairement. Sur une journée par exemple, arrêtez vos tâches un peu avant que vous ne considériez qu’elles sont finies et observez vos ressentis.