En quête des pensées suspectes

Nous produisons des milliers de pensées chaque jour, l’immense majorité n’est même pas consciente et la plupart sont les mêmes que la veille. Notre cerveau fait à peu près ce qu’il veut jusqu’à ce que son jeu soit plus lisible. Dans ce fatras de pensées en tous genres, il se pourrait que certaines d’entre elles soient suspectes, mais suspectes de quoi ?

Regardez bien. Regardez à l’intérieur de vos pensées et vous y verrez des choses passionnantes. Pour se faire, il existe de nombreuses techniques simples à commencer par l’écriture – automatique(1) de préférence – l’auto dialogue avec vous-même sous la forme, par exemple, d’un « homme de paille »(2) et bien entendu l’hypnose. Chacune d’elles permet ce que l’on appelle la « dissociation » ou la capacité à « sortir » de soi-même et de s’observer depuis l’extérieur. Comme toutes choses, cela nécessite un peu d’entrainement et de patience mais rapidement, on entre dans un monde interne nouveau et souvent passionnant.

Le bruit des pensées

Vous imaginez que vos pensées ne font pas de bruit, qu’elles sont silencieuses dans le fond de votre cerveau ? Alors, faites ce test simple : arrêtez-vous et écoutez les bruits qui vos entourent, qu’il s’agisse du murmure de la ville ou des bruits de la nature, suivant là où vous êtes et prêtez attention à ce qu’ils disent. Maintenant, pensez, pensez à n’importe quoi pendant quelques secondes et demandez-vous ce que vous avez entendu de l’extérieur … presque plus rien. Pourquoi ? Parce que votre cerveau est aveugle et qu’il ne fait pas la différence entre le bruit du dehors et celui du dedans, n’ayant pas de contact direct avec la réalité, n’étant qu’un traducteur, il ne sait pas que votre pensée n’est pas un bruit du dehors alors il l’écoute, comme n’importe quel autre son et ce son, comme n’importe quel autre, constitue la réalité. Maintenant, pensez « je suis nul.le » … vous avez compris ? Cette pensée, pour votre cerveau, n’est ni plus ni moins réelle que n’importe quelle activité « extérieure », ni plus ni moins réelle que n’importe quelle phrase prononcée par un.e autre que vous. Pour s’en rendre compte, encore faudrait-il faire la différence entre l’extérieur et l’intérieur, prendre conscience de nos pensées et les distinguer des stimuli extérieurs.

De même que le cerveau ne fait pas d’expérience directe de la réalité, il n’a aucune influence opérationnelle sur elle directement. Il en déforme la vision, l’imagine telle qu’elle est ou n’est pas mais sans les mains. Sans une quelconque partie de notre corps, il ne peut en rien la modifier dans ce qu’elle a de phénoménologique. Le cerveau est aveugle et il n’a pas de bras (et ne peut donc accéder au chocolat). Derrière cette boutade, il y a un élément important : vos pensées créent une réalité qui peut ne pas exister : j’ai déplacé cet objet, je n’ai jamais déplacé cet objet. Au moment où vous l’avez déplacé, vos pensées faisaient éventuellement tellement de bruits que vous en êtes devenu.e absent.e à vous-même ou au contraire, vous avez tellement pensé que vous deviez le déplacer que vous étiez sourd.e à ces autres pensées qui vous disaient de faire autre chose de plus « important » et qui ont fait que vous n’avez rien déplacé tout en étant persuadé.e de l’avoir fait. Le plus simple : déplacer l’objet au moment précis où vous avez pensé à le faire.

Les pensées suspectes

Selon moi, toute pensée non suivie d’une action est suspecte. J’entends par action le fait de rendre cette pensée réelle, opérationnelle. Il peut s’agir d’un acte, d’une parole ou d’une autre pensée mais consciente celle-là. J’entends les limites de mon affirmation et ne me faites pas dire ce que je ne dis pas, il ne s’agit pas de faire l’apologie du passage à l’acte, loin s’en faut et même au contraire. Il s’agit d’avoir conscience de nos pensées et d’apprendre à être à même de les trier. Combien sommes-nous à avoir imaginer, alors que nous conduisions, vouloir écraser ce passant qui nous gêne ? Nous ne l’avons pas fait et c’est heureux, parce que nous possédons une instance, le « surmoi » qui nous régule et nous permet d’obéir à notre « loi » interne.

Vous pourriez vous demander de quoi est suspecte cette pensée et vous auriez raison. Pour ce qui me concerne, elle est hautement suspecte de vouloir me maintenir dans un état que je ne désire éventuellement plus (la fameuse homéostasie). Elle n’est pas là pour me faire agir mais simplement pour me prouver que celui que je suis aujourd’hui est très bien comme ça. Or, si j’ai envie de changer, c’est que je ne suis pas très bien comme ça.

« Il faut, je dois »

J’ai très souvent entendu les gens que j’accompagne me dire « il faut » ou « je dois » ? Il y a plein de questions très intéressantes à poser quand on entend ces injonctions, mais ici, concentrons-nous sur un point : la non action. Au moment où vous dites « je dois faire ceci », vous vous donnez un ordre. Rien que cela peut déjà générer un stress mais si en plus, cet ordre n’est pas suivi d’une action, une partie de vous est insatisfaite et donc stressée, elle va commencer à vous « dire » que vous êtes incapable de tenir parole, que vous ne vous respectez pas ou que vous avez peur et devinez ce que cela va générer entre autres : de la baisse de confiance en vous. Souvent, cette « stratégie » du cerveau est « volontaire », elle vise, encore une fois à maintenir votre homéostasie. Imaginons que toute votre enfance on vous ait répété que vous étiez incapable. Cette affirmation s’est lentement engrammée en vous, on la dit « introjectée », et vous allez finir par y croire. Plus tard, votre cerveau doit maintenir cette croyance puisqu’elle participe à vous définir, vous allez donc tout faire pour rester incapable. L’un des moyens qu’à votre mental c’est de vous donner plein de choses à faire que vous ne ferez pas, par exemple en vous donnant du « je dois » au moment où vous êtes en incapacité de le faire (dans mon cas, il me donne des idées d’articles alors que je suis sous la douche) ou en vous en donnant 3 à la fois … normalement, vous allez en oublier un ou deux. Confiance impactée, sens des responsabilités, … la boucle est bouclée : vous êtes maintenue dans votre incapacité apprise.

Faites-le test : c’est assez simple et assez difficile à la fois : à chaque fois que vous pensez à une action, faites-là immédiatement. Il vous faudra être un peu patient.e car au début, ça risque de se bousculer au portillon mais attendez un peu et vous verrez des résultats impressionnants auxquels vous ne songiez pas.

# Déshypnotisons-nous !

(1) L’écriture automatique consiste à écrire (à la main de préférence) sur un sujet qui vous préoccupe et de laisser les mots venir sans se préoccuper le moins du monde de ce que vous écrivez (la syntaxe, l’orthographe, la cohérence globale). Laissez venir ce qui vient et c’est tout.
(2) L’homme de paille est une technique simple d’autohypnose. Elle consiste à imaginer que vous êtes en face de vous et de vous parler. Pour vous répondre, prenez la place du “vous” à qui vous venez de parler et répondez-vous … et ainsi de suite. Faites-le test !

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