La perte de responsabilité ou comment augmenter la peur ?

Dans une société ou la responsabilité se dilue de plus en plus, comment s’étonner de l’augmentation de la peur qui mène, notamment les plus jeunes, à des troubles mentaux apparaissant comme de plus en plus nombreux ?

Qu’est-ce que la « responsabilité » ?

Selon le dictionnaire de l’Académie Française, il s’agit de « l’obligation qu’a une personne de répondre de ses actes, de les assumer, d’en supporter les conséquences du fait de sa charge, de sa position, etc. », en droit, toujours dans ce même dictionnaire, c’est « l’ obligation de répondre de certaines actions devant la justice ou une autorité compétente. » et pour finir, il peut s’agir d’une « charge, mission conférée à quelqu’un par une autorité devant laquelle il doit répondre de ses actes. » Point commun à toutes ces définitions : les actes.

Notre société, cela n’aura échappé à personne, est de plus en plus complexe. Dès lors et vu le nombre d’interactions, il devient difficile de faire porter toute la responsabilité à un.e seul.e acteur.trice, ceux.celles de la téléphonie l’ont bien compris et si votre téléphone dysfonctionne, chacun.e dira que c’est la faute de l’autre : le réseau, le fabriquant de batterie ou même l’utilisateur.rice. Mais cette déresponsabilisation me semble-t-il, ne se rencontre pas seulement dans les hautes sphères, elle est partout et c’est même devenu vital dans certains domaines où les tâches sont savamment découpées afin d’éviter le trop plein de charge mentale et de stress, c’est le cas notamment dans les abattoirs comme ça l’était dans les pelotons d’exécution où l’on savait que l’un des tireurs avaient une arme chargée à blanc pour que chacun puisse se dire que c’est n’est pas lui qui a tué.

Mais regardons mieux. Lorsque nous conduisons, les panneaux nous indiquent en permanence la présence d’un croisement, l’obligation de s’arrêter ou l’interdiction de dépasser une certaine vitesse (ces temps-ci, chez moi, apparaissent maintenant des marquages au sol pour indiquer la priorité à droite que tout le monde connait par principe). C’est très bien ainsi et cela sauve de nombreuses vies. Cependant, que se passerait-il, aux abords d’un tournant serré sur une route rapide, s’il n’y avait de panneau pour nous prévenir : nombre d’entre nous se retourneraient vers la DDE ou la mairie pour les mettre face à leur responsabilité et les enjoindre de sécuriser les lieux. A aucun moment, ceux.celles-là même qui s’offusqueraient ne penseraient que peut-être, ils auraient dû être vigilants et prudent.es. La voiture, l’a-t-on oublié, reste un outil dangereux bien que les fabricants s’évertuent à nous faire croire l’inverse. Achetez n’importe quel outil électrique et lisez la documentation, vous verrez que désormais, la partie « sécurité » prend la majeure partie du fascicule : vous devez être prévenu.es (du verbe « prévenir » qui signifie « prévention »). Trop de prévention finirait-il par nous empêcher de penser vraiment à ce que nous faisons, c’est à dire, à être responsables ?

Les assurances au secours de la responsabilité ?

Heureusement me direz-vous, il y a les assurances. Et là aussi, c’est très bien. Combien d’entre nous seraient ruinées du fait d’une maladie grave ou d’un incendie si ils.elles n’étaient pas assuré.es ? Il n’est pas question de remettre cela en cause. Cependant, le système de l’assurance a un revers à la médaille : la mise à distance du danger et donc la perte de responsabilité. La perte progressive du sentiment de capacité d’agir afin de ne pas rencontrer le risque et, in fine, la perte de confiance en moi et dans les autres. Nous sommes biberonnés par les assurances et les normes qui évitent les accidents (peut-être pour limiter la responsabilité des assurances qui fonctionnent comme nous). Notre quotidien devient de plus en plus sécurisé, nous avons, que nous le voulions ou non, de moins en moins de responsabilités individuelles et, bercé.es par ce système, nous en demandons toujours plus. C’est là que ce contre quoi nous ne pouvons pas nous assurer prend de l’ampleur : l’aléa, la météo, la vie, … L’excès de sécurité nous ferait-il nous sentir de plus en plus en danger ?

Avez-vous peur ?

Spontanément, il est probable que vous répondiez « non » à cette question. Bien sûr, certain.es pensent à la guerre, d’autres au réchauffement climatique, mais au quotidien, avez-vous peur ?

Imaginons que vous viviez en continu dans un bain à 35 degrés, vous y êtes bien, parfaitement confortable. Maintenant, quelqu’un augmente la température de ce bain sans vous prévenir, il.elle règle les choses pour que cela augmente jusqu’à 42 degrés mais en plusieurs semaines. Avant d’avoir trop chaud, il se passera du temps. Si il.elle l’avait augmentée d’un seul coup, vous auriez tout de suite senti l’inconfort. Avec la peur, c’est pareil … on s’habitue. Le cerveau est effrayé par l’inconnu, il s’en méfie. Sa manière de vous faire sentir qu’il a peur est de générer un stress. Si on vous dit que les russes attaquent demain, vous serez stressé.e, de même, si on vous dit que vous allez passer un examen très important.

Cependant, de nos jours, il suffit de regarder ou d’écouter les media pour voir des images ou entendre des nouvelles stressantes : faits divers, Ukraine, climat, incendies, produits alimentaires impropres à la consommation, la liste est longue. Plusieurs fois par jour nous sommes en contact avec ces peurs bien qu’elles « n’existent » pas dans notre réalité quotidienne (à moins que vous ne travailliez dans un hôpital sur le front ou que vous soyez au cœur d’un incendie), il y a quelques dizaines d’années en effet, personne n’aurait su que le Yémen était en guerre. Plusieurs fois par jour, nos téléphones bipent ou vibrent pour nous dire qu’il y a une « alerte » (y-compris quand votre cousin.e post une photo de son déjeuner sur whats’app). Nous sommes en alerte permanente. Comme le bain à 35 qui augmente, nous nous habituons et ne faisons même plus attention au stress qui est là tout le temps et augmenté par le fait que nos peurs semblent totalement en-dehors de notre pouvoir : nous n’y pouvons rien.

Revenons à la responsabilité. Lentement, on nous a appris à être moins responsables (puisque les panneaux, les notices et les assurances nous soulagent), lentement, nous perdons confiance dans notre capacité à agir : être plus vigilant sur la route, réfléchir avant d’utiliser cet outil, faire attention aux choses et aux gens, etc. et simultanément, nous avalons des nouvelles stressantes et indifférenciées : l’évasion d’un homme précède les bombardements en Ukraine qui vient avant la recette du coq au vin. Non seulement ce cocktail fabrique de la peur, mais en plus, elle devient de plus en plus inconsciente et à l’instar du bain à 42, nous ne sentons plus rien. Et quel est le meilleur moteur pour nous faire bouger ? La peur. Et dans un monde complexe où nous nous sentons bien souvent ignorant.es, nous demandons alors les réponses à ceux.celles qui savent (chacun.e le sien) tout prêt.es à le.la croire pourvu qu’il.elle me rassure.

Résumons-nous. Dans un monde complexe qui nécessite un cadre de plus en plus précis, nous déléguons nos responsabilités sans même que cela soit nécessairement conscient. Ce faisant, nous perdons notre capacité à agir et donc notre apprentissage de l’expérience, de la réussite, de l’erreur et de la confiance en nous. Parallèlement, les nouvelles du monde nous disent chaque jour que nous y sommes impuissant.es et nous perdons encore plus confiance et déléguons encore plus à « ceux.celles qui savent ». Certain.es, pour ne pas faire face à ces peurs, trouvent des raisons extérieures qui ont au moins le mérite de déplacer le stress en dehors d’eux-mêmes mais les privent encore plus du pouvoir d’agir puisque l’action devrait être tournée vers l’intérieur.

Ne serait-il pas utile de reprendre les rênes de notre vie ? Conduire notre voiture en conscience du danger, manger ce que nous avons cuisiné, regarder sans imaginer … Certes, tout d’un coup, la perception du risque devient plus grande, certes, nous allons nous planter mais aussi apprendre, nous gagnerons en confiance et en responsabilité et serons, après un peu d’entrainement, sans doute beaucoup moins stressé.es et donc beaucoup plus libres d’être nous-même.

Faites le test : prenez le « risque » de cuisiner, de changer de maquillage, de mettre un pantalon de couleur vive, prenez le risque de changer des trucs et regardez ce qu’il se passe en vous et autour de vous.

# Déshypnotisons-nous

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