Votre cerveau est aveugle !
Le cerveau ce corps gélatineux bien engoncé dans une boite hermétique remplie d’un liquide protecteur, objet de tant de recherches et de mystères, est ainsi enfermé dans un coffre-fort. A l’instar des trésors recherchés de tout temps, il porte tous les fantasmes et tous les pouvoirs.
Le cerveau, par lequel passe toutes nos pensées, a – entre autres – ceci de particulier : il ne fait aucune expérience directe du monde qui nous entoure. Ça n’est pas lui qui touche, c’est la main, ça n’est pas lui qui voit, c’est l’œil et ça n’est pas lui qui a des émotions, en revanche, il interprète tout, il traduit tout en mots, phrases et pensées qui nous permettent, de façon plus ou moins automatique de mettre nos sensations en mots intelligibles de nous-mêmes puis, éventuellement, de l’autre. A l’instar du roi, au jeu d’échec, le cerveau est l’objet de toutes les attentions, justifie le moindre de nos mouvements et pourtant, il est totalement dépendant, incapable de presque tout s’il est laissé à son propre sort. Il s’agit de le protéger avant tout sinon, c’est la défaite.
Notre cerveau a donc appris ce qu’était la vie sans jamais l’éprouver directement, il reçoit des informations, les traduit et les range dans des cases en fonction de ce qu’elles lui auront apporté d’utile ou d’inutile, d’agréable ou de désagréable ou encore de chaud ou de froid. Peut-être qu’à l’image des ordinateurs (et de l’IA) il fonctionne de façon binaire et nous a donc inventé la notion de dualité. Mais, faut-il lui donner un blanc-seing ?
Dans son apprentissage de la vie telle que ressentie par nous (ce qui est différent de la vie tout court), il a dû mettre des filtres pour rendre les choses plus faciles à comprendre, plus douces, plus énergiques ou moins froides afin de tenter de préserver notre équilibre individuel, de nous éviter de prendre des claques trop violentes (vu que lui, les claques, il n’aime pas ça, ça le secoue dans son bain protecteur). Tout se passe en fait comme s’il était parfaitement autonome et prenait ses décisions au mieux des intérêts du système (vous) au moment où il reçoit les informations. Problème : en même temps qu’il prend ces décisions, il apprend, enregistre et se sculpte.
Comment le cerveau apprend-il ?
Dès notre plus jeune âge (y-compris dans le ventre de notre mère), notre environnement contribue à construire nos connections synaptiques qui correspondent en gros à l’architecture de notre cerveau. Pour comparer à un édifice, les poutres structurelles vont se créer et se renforcer pour donner des certitudes, les cloisons, moins solides seront des croyances et la décoration, facile à changer, correspondra à notre avis du moment. Mais chacun de ces éléments est construit sur la base de ce que nous expérimentons (et que le cerveau traduit). Ainsi, il va se construire sur un modèle du monde correspondant à nos premiers apprentissages, notamment quand il s’agira de construire les parties les plus structurelles et particulièrement si ces premiers apprentissages sont répétés. Non seulement il se construira en fonction de ce monde mais aussi en miroir de ce monde, il sera configuré pour être le plus robuste dans le monde qu’il imagine et sera donc « comme » ce monde qu’il contribuera à créer à son tour.
Ces apprentissages se font dans les plus petites anecdotes quotidiennes comme dans les épreuves importantes et chacune façonne notre façon de penser. Si nous sommes confronté.es de façon répétitive à telle ou telle situation, notre cerveau se configurera pour y faire face le plus rapidement possible en préservant le système au maximum (système qui le contient, comme une banque contient un coffre, il a donc tout intérêt à protéger la banque). En d’autres termes, non seulement notre cerveau est fabriqué par notre environnement mais en plus, du fait de cette configuration, il configure à son tour notre environnement.
Prenons 2 exemples : Le douleur et les hommes bruns. Si vous êtes élevé.e dans un environnement où la douleur physique est absente, votre cerveau ne s’y habituera pas et ne repérera pas, dans votre environnement, les choses susceptibles de générer de la douleur. Dès lors, si vous changez d’environnement, non seulement vous serez très sensible à la douleur (puisque vous n’y êtes pas habitué.e) mais en plus, vous y serez souvent confronté.e puisque vous ne saurez pas en repérer les signes avant-coureurs. Vous irez alors voir un.e psy ou un.e voyant.e tout.e étonné.e que vous serez de croiser la douleur à tous les coins de rues et vous demandant si on ne vous a pas marabouté.e.
Pour les hommes bruns, c’est pareil, mais on peut imaginer un apprentissage inversé. Imaginons que votre instituteur à l’école soit brun et très sévère avec vous, qu’en plus, votre professeur de maths en 6e soit brun aussi, que vous n’êtes pas bon.ne en maths et donc qu’il vous colle de mauvaises notes, votre cerveau risque de faire une association entre homme brun et sévérité (donc mal-être émotionnel) et cherchera à vous en protéger. L’association en question vous montrera les hommes bruns comme dangereux et vous en verrez partout. Non qu’ils soient plus nombreux que pour votre voisin.e mais vous, parce qu’ils représentent un danger, vous les voyez « mieux ». C’est ainsi que dans votre monde, il y a plein d’hommes bruns. Votre cerveau fabrique le monde.
Il en va de même si par exemple, vous apprenez qu’agir vaut mieux que penser (en étant confronté.e par exemple à des intellectuel.les qui vous briment et que vous n’avez réussi à faire taire qu’en étant meilleur.e en sport), là encore, votre cerveau vous poussera à agir, il sera dans un monde d’action (puisque le monde intellectuel est brimant) et pensera en termes d’actions. Un jour, vous vous croirez bête simplement parce que vous ne verrez pas que vous réfléchissez. Votre cerveau vous fabrique.
Comment faire pour ne pas être son cerveau ?
Vous êtes bien plus que votre cerveau et vous savez bien plus de choses que ce que vous croyez savoir, seulement, votre cerveau ne vous donne pas accès à tout ce que vous savez, il se contente de vous apporter ce qu’il croit être utile (sinon, il passerait son temps à chercher des infos enfouies ce qui reviendrait à faire le tri non plus dans la déco (voir plus haut) mais dans les bibelots voire des objets encore plus insignifiants. Et cette recherche consommerait beaucoup trop d’énergie et mettrait donc en danger la banque). Cependant, vous avez une arme : vos pensées.
Comme il ne s’agit surtout pas d’analyser chacune de vos pensées, je vous invite à vous concentrer sur celles qui vous font agir d’une façon qui ne vous plait pas (ou qui ne vous plait plus). Prenons un exemple : vous mangez trop de chocolat (et c’est vous qui jugez de ce que « trop » veut dire). L’objectif est d’apprendre à repérer ce qui créé ce comportement. Un environnement particulier, une action spécifique, des mots entendus, une heure particulière, tout en même temps ? Que sais-je. Une fois que vous avez cela, tendez bien « l’oreille » et entrainez-vous à entendre les pensées qui ont présidé au fait de prendre du chocolat et demandez-vous quel rapport il y a entre la situation, la pensée et le fait de prendre du chocolat (et il y en a un, même s’il ne vous plait pas ou s’il vous semble saugrenue). Une fois tout cela en poche, vous pouvez commencer à déconstruire ces associations simplement en les interrogeant. Parfois, ça peut demander beaucoup d’efforts et éventuellement l’aide d’une tierce personne mais parfois aussi, vous aurez le déclic au premier essai et vous vous contenterez d’un carré (qu’en plus vous prendrez le temps de déguster).
Pour nous résumer, notre environnement construit notre cerveau et notre cerveau est à l’image de cet environnement, il y est parfaitement adapté. A son tour, il interprète ce que les sens lui envoient suivant cette vision initiale qu’il a du monde et c’est ainsi qu’il déforme la réalité pour l’adapter à ce qu’il comprend et surtout à ce qui lui est utile pour survivre et faire survivre le système.
Vos pensées (qui déterminent vos actes) sont le reflet de cette déformation. Si vous ne vous en rendez pas compte, le monde qui vous entoure ne sera pas la réalité mais la réalité traduite pas votre cerveau (avec plein d’hommes bruns dangereux par exemple). Et le plus intéressant, c’est que vous faites partie de votre environnement ou plutôt de l’environnement de votre cerveau, dès lors, vous aussi il vous interprète et vous déforme. L’enjeu est donc d’importance : vous voir et être tel.le que vous êtes et non tel.le que vous avez appris à être. Vous n’êtes pas ce que votre cerveau (vos pensées) dit de vous.