J'ai pris un train

Au départ, dans la gare, il y avait une jolie affiche intitulée « L’eau source de vies ». Une exposition organisée par la SNCF. Comme souvent dans ce genre de lieu, la photo contrastait avec son environnement : des barrières cadenassées, une cage, des gens pressés qui ne regardent que leur montre et d’autres pubs, plus criardes. Et je suis monté dans ce train-là.

L'eau source de vie, une affiche que personne ne voit

Après les hangars d’après gare, par la fenêtre se sont mis à défiler des multitudes de verts et de jaunes : des bois, des forêts, des champs. Parfois, les arbres dessinaient le cours de la rivière qui sinuait à leur pied. Une courbe dans la fenêtre. Mais tout cela passait à 300 km/h et rien ne pouvait les arrêter sauf une photo peut-être, de celles que l’on prend pour être sûr de voir.

Dans le wagon des logos éclatants m’expliquaient où mettre mes bagages et mon téléphone, ils n’étaient que des pictogrammes, comme si je ne savais pas lire. Les gens tapotaient sur leur ordinateur, tripotaient leur téléphone et même les couples n’étaient plus ensemble. Sur les visages fermés, je lisais du stress, de la peur ou de l’inquiétude ou parfois, des verres teintés de lunettes de soleil, rendaient inaccessibles les âmes qui se cachaient - peut-être – derrière. Sur les vitres du wagon, un chargé de l’ « UX » (la « User experience » comme ils disent dans les cabinets de conseil) à n’en pas douter, avait trouvé l’idée de poser des stickers « siège avec vue » et « laissez-vous rêver ». Il avait dû lui-même réalisé entre deux Powerpoint qu’il y avait un truc dehors, peut-être la vie, mais elle allait trop vite alors il n’a pas pu le vérifier mais il a noté l’idée pour les stickers transparents.

Pendant ce temps, au micro, « Fred » nous explique qu’il est notre chef de bord avec son camarade « Philippe » et « Eric » le conducteur. Il y a aussi « l’hôte de propreté » qui passera avec ces sacs de tri sélectif. Il nous souhaite un agréable voyage à bord de ce magnifique TGV et il s’en faut de peu qu’il ne nous fasse les gestes de sécurité et la démonstration du masque à oxygène afin que définitivement nous nous croyions dans un sublime voilier du ciel traversant les océans. « L’expérience utilisateur ». Les gens n’écoutaient pas Philippe, ils avaient des écouteurs ou la tête à leurs soucis … les communicants rêvent d’un monde où on les écouterait mais ils parlent tou.tes en même temps et plus personne ne les écoute … réalité de l’utilisateur.trice : c’est juste un train voire seulement un bureau, pas un rêve.

Dehors, les champs sont maintenant bien dessinés, pas un brin de blé plus haut que l’autre et des piquets surmontés de sacs en plastique me les font confondre avec les aigrettes que je vois chez moi. Il y a plusieurs trains comme celui-là, je dois changer de gare, en prendre un autre, différent mais pareil : toujours propre, toujours rapide. Entre les deux, des dizaines d’alarmes : celles des feux tricolores, des téléphones des gens que je croise, du bus, du garçon de café qui sonne une cloche et maintenant celles de la porte du nouveau train qui annonce leur fermeture. Je courre, me jette à l’intérieur. Le stress retombe lentement. Nous sommes 20 minutes avant le départ, cette alarme-là dysfonctionnait. Elle me fait prendre conscience que je viens de réagir comme un animal sauvage pris au piège. Un stimulus idiot m’a précipité dans mes habitudes d’hier : celles du bruit, de la vitesse et de la performance à tout prix. En quelques minutes, j’étais redevenu inconscient de mon stress et le laissais me guider, abruti de peur. Je suis devenu inadapté à ma vie d’hier … Alléluia !

Arrivée en gare finale, je me dirige vers ma voiture puis chez moi en me disant que je ne remonterai jamais plus dans ce train, qu’il me raconte une vie que je n’ai plus. En arrivant chez moi je suis heureux et j’expérimente l’eau, source de vies.

L'eau, source de vies : canetons à la Ferme Thérapeutique des Heures Etoilées

Et vous, où va votre train ?

# Déshypnotisons-nous