Comment nous créons ce que nous cherchons à éviter

Dans plusieurs articles, j’évoque les mécanismes du cerveau. En quoi son rôle est de nous protéger, de nous maintenir en équilibre quel que soit la qualité de celui-ci. Le mental cherche en permanence à mettre nos émotions à l’abri de situations qu’il a appris à juger comme trop désagréables (chacun évitant des situations différentes).

L’une des raisons pour lesquelles le cerveau cherche à nous éviter les situations dangereuses, c’est la consommation d’énergie. Si je croise un lion, je vais tout d’abord avoir peur, une émotion forte qui va accélérer le rythme cardiaque afin de préparer tout notre corps à fuir, cette subite augmentation de flux sanguin vers le cœur va pomper une énorme quantité d’énergie dont par ailleurs le cerveau a besoin puisqu’à lui seul il en consomme 20%. Après la peur, viendra la fuite qui elle aussi va nous demander beaucoup de force pour échapper aux crocs de l’animal et, vraisemblablement, à la mort. Ce que nous apprenons à ce moment là c’est que le lion risque de nous faire mourir, pour preuve, le cerveau lui-même a été privé d’énergie, elle-même absorbée par nos émotions puis notre masse musculaire. L’enjeu est donc fort : ne plus risquer de mourir et donc, éviter de croiser un autre lion.

Certes, aujourd’hui, nous croisons moins d’animaux mortels mais le mécanisme engrammé dans notre cerveau reptilien reste le même : éviter à tout prix les émotions trop fortes (chacun évaluant à sa manière le niveau que « forte » signifie). Pour les éviter, nous avons à notre disposition plusieurs stratégies dont l’anticipation.

L’anticipation : clé de l’autohypnose

Imaginons que vous ayez rencontré dans votre vie une situation extrêmement désagréable pour vous, de la plus banale (une piqure d’insecte, une mauvaise note à l’école, un premier baiser qui tourne mal, …) à la plus traumatisante (viol, harcèlement, violence, …). Dans tous les cas, suivant la façon dont vous avez vécu l’événement, votre cerveau, pour vous en protéger, va chercher à l’éviter et donc à l’anticiper. En premier lieu, cette expérience va être « répertoriée » de façon à ce que son accès soit simplifié (pour moins consommer d’énergie et aller plus vite), un peu comme si vous étiez une gigantesque bibliothèque et que certains rayons soient rapidement identifiables : les « urgences ». En second lieu, l’environnement de cet événement va lui aussi servir d’alerte : les araignées se logent plutôt dans les coins, vous devez vous sentir intéressant.e (pour être bien noté.e), l’amour peut être douloureux, les rues sombres sont dangereuses, etc. Inconsciemment, vous allez donc repérer les situations ou les types d’environnement qu’il est préférable d’éviter ou (et c’est important) de contrôler.

En anticipant une situation, vous cherchez continuellement les signes qui indiqueraient que vous avez raison de le faire (c’est là qu’intervient le biais cognitif de confirmation). Dans le cas de l’araignée, en entrant dans une pièce, l’arachnophobe se concentre sur une chose : regarder si par hasard il n’y aurait pas quelque part l’une de ces bestioles. Comme il les cherche, il a beaucoup plus de chances d’en trouver que celui qui n’en a pas peur et qui donc, ne les cherche pas. Il en va de même pour toute autre situation qui vous fait consciemment ou inconsciemment peur. Si un baiser peut mal tourner alors vous allez anticiper, rechercher le cadre qui convient à cette peur (physique comparable, voix identique, situation similaire etc.). Qui plus est, votre ami le cerveau va même éventuellement utiliser un autre processus de défense : la généralisation. Il s’agit là d’agrandir votre « zone d’inconfort » pour la rendre encore plus inattaquable. Le premier baiser concernait une jeune fille(1) brune aux yeux bleus devant une porte, en généralisant, ça n’est plus cette fille qui vous a blessé.e mais potentiellement, toutes les jeunes filles aux yeux bleus, toutes les situations devant une porte ou même toutes les jeunes filles. En anticipant pour vous protéger, toutes les jeunes filles aux yeux bleus (ou toutes les situations activant vos émotions devant une porte) deviennent une source potentielle d’émotions négatives fortes.

Hélas, comme pour les araignées, il faut vérifier. Un jour, vous tombez sur une femme aux yeux bleus mais vous l’aimez et vous aimeriez bien avancer avec elle (consciemment). Inconsciemment et simultanément, vous êtes en zone d’alerte, votre cerveau va donc vérifier que cette femme ne serait pas, par hasard, « dangereuse ». Pour cela vous pouvez par exemple la tester, la mettre en situation d’être dangereuse pour vous, histoire d’être bien certain qu’elle n’en profite pas. A force de le vérifier, il y aura un moment où votre stratégie finira par fonctionner, au pire, quand vous aurez demandé 20 fois à la femme en question si elle est bien certaine de ne pas en avoir profité, il est probable que cela finisse par l’énerver et que cela finisse par mal tourner … comme le premier baiser. Et voilà, vous avez gagné, elle était bien émotionnellement dangereuse pour vous, vous avez bien fait d’être méfiant, merci à votre protecteur le cerveau.
De la même manière, pour avoir de “bonnes notes” et vous sentir intéressant.e, vous allez fréquenter des gens que vous admirez, qui vont vous apprendre des choses, ce faisant, certes vous apprendrez, mais simultanément, vous risquez de vous sentir bête devant ces personnes, en voulant calmer votre peur d’être “mal noté.e”, vous créerez une situation où vous vous sentirez précisément “inférieur.e”. Là encore : mental 1 - vous 0, il a encore gagné !
Pour en finir avec les exemples, la fameuse “peur de l’abandon” tend à nous pousser à être très (trop) présent.es (NB : l’absence, peut viser à nous rendre présent.es pour espérer manquer aux autres). A force d’être trop présent.e, le risque évident est que l’autre se lasse et qu’il nous demande de lui donner de l’air … une fois de plus … le mental gagne !

En anticipant, le mental vous projette dans une dimension imaginaire (c’est là que se loge l’autohypnose) : l’avenir. Il construit un avenir en y mettant tous les ingrédients du danger potentiel tout cela, pour vous en protéger. En faisant cela, il créé tout simplement toutes les conditions pour que cet avenir imaginaire existe réellement ce qui a l’immense avantage de confirmer son hypothèse et de valider le fait qu’il avait raison de se méfier de même qu’il avait raison de penser qu’il est préférable de ne pas changer.

Changer d’avenir ?

Sortir de cet engrenage peut être extrêmement simple. La première condition selon moi, c’est de connaître ce mécanisme (d’où ce petit article), la seconde, c’est de le voir à l’œuvre quand il s’opère en nous, une fois repérée l’anticipation (qui peut tout à fait être très agréable : quand je vais revoir machine, elle va sans doute m’embrasser), il ne s’agit pas de la changer (puisque cela resterait une anticipation), mais de revenir au présent. Comment ? Tout simplement en se concentrant sur ce que nous sommes en train de faire (écrire un article, tricoter, marcher, …) ou de vivre (notre respiration, nos sensations corporelles à l’instant, le froid, le chaud, etc.) ainsi, nous contribuons à couper le processus, reprenons le contrôle de nos pensées et apprenons à notre mental à ne plus anticiper la reproduction des douleurs du passé.

Cette stratégie du mental est loin d’être la seule possible, mais selon moi et ce que j’ai pu observer, elle est souvent utilisée, nous mettant nous même, précisément à l’endroit que nous cherchons à éviter. La plupart du temps, nous sommes sous le contrôle de notre mental lui-même hypnotisé par nos expériences désagréables et non résolues. Bien sûr, un travail avec un thérapeute peut nous aider à les résoudre et je ne peux que nous y encourager, mais nous pouvons aussi apprendre à revenir au présent, apprendre quelques techniques (chacun choisira celle qui lui parle le plus : méditation, yoga, pleine conscience, auto hypnose ou simplement promenades et contemplation) et les mettre en place à notre rythme. Le but : revenir à la seule chose qui existe réellement : le présent, rompre avec un avenir imaginaire qui nous piège nous même dans ce qu’il croit être notre bien, arrêter en somme de reproduire à l’infini les mêmes situations qui créent le même inconfort (comme le dit très bien cette vidéo sarcastique (en anglais) pas aussi bête qu’il n’y parait). C’est en cela qu’à chaque instant, nous créons l’avenir que nous voulons. Et n’oublions pas qu’un jour, l’avenir devient le présent.
Et vous, quel avenir voulez-vous vous créer ?

# Désypnotisons-nous !

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