Les yeux sont trop bavards
Dans une société où le sens visuel est sursollicité par des écrans partout, le « jour » en pleine nuit, des dizaines de panneaux aux abords des ronds-points et autant de publicités dans une pharmacie cachant les « vrais » messages sanitaires, nos yeux sont l’organe essentiel pour définir le monde qui nous entoure, mais, nous disent-ils vraiment la vérité ?
Il est important de se souvenir que nos yeux ne voient pas ce que nous voyons : 2 exemples simples le prouvent. En premier lieu, ils voient à l’envers, c’est le cerveau qui met l’image à l’endroit. En second lieu, il existe, dans chaque œil une « tâche aveugle », dans l’axe du nerf optique, dans laquelle nous ne voyons strictement rien. Si nous faisons passer notre doigt de gauche à droite devant nos yeux, il va disparaître à un moment donné mais le cerveau va « l’ajouter » pour préserver la cohérence de l’image et parce qu’il « sait » que votre doigt passe de droite à gauche et qu’il ne peut donc disparaitre. En revanche, si nous nous arrêtons à un stop, que nous ne tournons pas la tête et qu’un cycliste est dans l’axe de notre tâche aveugle, nous ne le voyons pas, il n’existe donc pas et nous avancerons en toute sécurité mais pas pour celle du cycliste qui lui, sait bien qu’il existe. Le cerveau fait des miracles, dans les deux sens. En d’autres termes, la réalité n’est pas celle que nous croyons voir et les exemples sont légion.
Sans les yeux !
Cependant donc, c’est la vue qui est devenue notre principale source d’informations et ce d’autant plus qu’avec l’ouïe, c’est le sens qui nous permet le mieux d’anticiper puisqu’elle nous permet d’être plus loin que là où nous sommes. Mais elle nous trompe ! Pensez à ce que l’on vous servait à la cantine quand vous étiez petit.e, pensez à ce que vous détestiez, moi, ce sont les choux de Bruxelles. Maintenant, imaginez que l’on vous en propose. Votre vue vous dira que c’est tel ou tel légume ou viande, de façon tout à fait objective, mais le cerveau, lui, se rappellera de votre expérience et vous dira que vous détestez cela. Mais cette expérience a 10, 20 ou 30 ans, elle ne correspond peut-être plus en rien à la réalité. Trop tard, vous n’avez pas goûter à nouveau, vous avez eu peur !
Vous croyez que cela ne fonctionne qu’avec la langue de bœuf (autre succulent mets que l’on me servait à la cantine) ? Regardez mieux, regardez toutes les expériences que vous ne faites pas simplement parce qu’elles sont liées à de mauvais souvenirs et non pas à une réalité présente. Pour vous en convaincre, il vous suffira de faire des tests en aveugle sur ce que vous mangez : amusez-vous en famille à vous faire goûter des aliments (en évitant ceux qui vous rendent malade ou que vous détestez vraiment), vous verrez que sans les yeux, ils ont un autre goût, même ceux que vous adorez puisque cela marche évidemment aussi avec les bons souvenirs.
C’est tout le sens de « l’histoire que l’on se raconte » et comment celle-ci nous commande à notre insu. D’une certaine manière, les yeux (ou ce que le cerveau fait des informations qu’ils lui envoient) nous empêchent de voir vraiment. Ce que nous voyons n’est pas la réalité mais l’histoire que notre cerveau – ou nos pensées – racontent à propos de cette réalité.
Les exemples sont très nombreux et quotidiens : vous êtes convaincu.e que vous avez laissé vos lunettes sur cette table, vous regardez sur cette chaise et vous ne les verrez pas alors qu’elles y sont, simplement parce qu’elles ne sont pas censées être là, vous rencontrez quelqu’un que vous détestiez il y a 10 ans, vous ne verrez que vos souvenirs et les émotions qui y sont attachées mais pas le fait que cette personne a peut-être changé, si j’écris “réplipubque”, tout le monde comprendra “république” et ça n’est pas ce qui est écrit, etc.
Et si nous regardions ce qui est devant nous plutôt que ce qui est à l’intérieur ? Notre pouvoir – et il est immense – est dans le présent, dans la conscience, l’écoute et le contrôle de nos pensées qui sont souvent presque silencieuses tellement elles sont répétitives ou à (très) bas bruit. En état de conscience « normal », nous n’avons plus de pouvoir sur le passé et pas encore sur l’avenir, cependant, nos pensées nous rappellent sans cesse l’un pour nous éviter de refaire des expériences désagréables et anticipent en permanence l’autre pour la même raison. Dans les deux cas, elles nous privent de la réalité de l’expérience présente, nous enlèvent le pouvoir de juger de la réalité et nous enferment dans des modèles d’hier.
Faites le test, rendez-vous « aveugle » quelque temps, vous verrez que vous allez beaucoup mieux voir. Autre test, regardez ce que vous voyez et demandez-vous quelles sont vos pensées, comment ces pensées “changent” la perception que vous avez de ce qui est devant vous … maintenant, supprimez vos pensées, vous verrez peut-être autre chose …