Les histoires qu'on se raconte

Pour ceux qui s’intéresse à la psychologie, à ce que l’on appelle la spiritualité ou même aux neurosciences, la « réalité » est souvent présentée comme quelque-chose que chacun de nous fabrique à chaque instant. S’agit-il de remettre en cause l’existence de la voiture rouge qui vient de passer devant nous ? Pas vraiment mais peut-être en revanche de celui.celle qui la conduit.

« On fabrique notre propre réalité ». Dit comme ça, c’est un peu difficile à croire, et pourtant c’est très loin d’être faux. Le psychologue vous dira qu’en imaginant quelque-chose, je le fais exister (le pseudo « physicien quantique », s’appuyant sur des notions telles que l’imbrication quantique, vous dira la même chose (Cf. Joe Dispenza)), le « spiritualiste » lui, appellera les « signes » et les synchronicités à la rescousse pour vous dire que « l’univers » est à votre écoute et créé ce que vous désirez au fond. Le neuroscientifique quant à lui, s’appuiera sur ce que l’on connaît aujourd’hui du cerveau et les connections synaptiques pour arriver à une conclusion similaire (voir Albert Moukheiber).

Les mots sont des rivières

Le lien selon moi entre ces personnages, n’est pas la « réalité » mais l’histoire que l’on se raconte à son propos. Pour de nombreux auteurs, les mots façonnent notre cerveau (ou mental) aussi sûrement que la rivière creuse la montagne. Les politiques l’ont bien compris quand ils changent les mots pour changer la perception du concept qui se cache derrière : un bon exemple étant le « plan de licenciement » devenu le « plan de sauvegarde de l’emploi », notion bien moins agressive et donc plus acceptable si ce n’est par ceux.celles qui le subissent, au moins pour l’opinion publique. Et l’opinion publique façonne sa pensée et ses comportements sur le long terme, participant à créer « l’inconscient collectif » qui lui-même participe à nous construire individuellement.

Revenons à notre rivière. Pour se construire, le cerveau se sert d’un outil : la pensée, et la pensée, pour se structurer, utilise les mots et la syntaxe. Mais les mots ne sont pas des concepts aussi simples à manier. Prenons-en un qui soit simple : « table ». Si vous êtes barman.e, vous imaginerez peut-être plus volontiers un guéridon, si vous êtes cuisinier.ère dans la restauration collective, vous verrez plutôt une grande table en formica et si vous êtes menuisier.ère, ce sera une table en bois et tout ces détails de construction. Chacun.e de nous, à partir du mot table visualisera une chose différente. La « réalité » commence à ne plus être commune à tous.toutes, on ne se bat pas pour une table, mais pour d’autres mots … si.

Maintenant, imaginez des mots tels que « confiance en soi », « immigration », « politicien » ou « travail » et vous comprendrez sans peine que pour chacun.e de nous, ils puissent renvoyer à des images très différentes selon nos histoires et nos environnements personnels. Imaginons que vous vivez dans une barre HLM des années 70, si vous êtes blanc.he, le mot immigration fera peut-être apparaître en vous des personnes maghrébines issues de la décolonisation et tout ce que vous leur associez selon les relations que vous avez eut avec elles, si vous êtes maghrébin.e, vous aurez une autre image. Si vous êtes un.e chercheur.euse au CNRS, le même mot vous renverra aux indiens surdiplômés qui travaillent avec vous (pardon pour le sacrifice aux clichés imageant mon propos et servant par la même les dangers de « l’histoire qu’on se raconte »). Comme pour « table », on le voit bien, les réalités sont très différentes et, en l’occurrence, beaucoup moins neutres d’un point de vue sociétal.

Dernier exemple tiré de notre quotidien : la météo. Si vous allumez votre télévision le soir à 20h, vous verrez sur votre ville pour le lendemain, par exemple, un nuage et de la pluie. La météo fait des « généralisations » : elle indique qu’il risque de pleuvoir, à un moment, dans la journée mais ne précise pas – à la télévision – quand précisément, combien de temps ni avec quelle intensité, ces 3 informations c’est vous qui les créez suivant votre personnalité, votre humeur et l’impact qu’a le temps qu’il fait sur vos journées. Si vous êtes jardinier de la ville et pessimiste, vous prendrez un ciré et des bottes, si vous êtes employé.e de bureau et optimiste, vous ne changerez rien. Or, il aura finalement plu 10 minutes, pendant votre pose déjeuner que vous avez passé à l’abri dans un bar. A partir d’une information partielle, votre cerveau a rempli les trous (« à quel point va-t-il pleuvoir ? ») pour pouvoir anticiper votre attitude face à l’événement et surtout pour réduire le risque lié à l’imprécision de l’information. Notre mental déteste l’incertitude, c’est une question (lointaine) de vie ou de mort. Il a créé une réalité qui nous est propre : la durée et l’intensité imaginées de la pluie.

L’autre : le grand vide

Maintenant, regardons ce qu’il se passe quand nous sommes face à quelqu’un : nous lui disons quelque-chose et croyons distinguer sur son visage un rictus. Nous ne savons pas à quoi cette micro expression correspond (incertitude), notre cerveau va donc automatiquement combler ce vide. Suivant qui vous êtes, ce que vous venez de dire, qui est la personne pour vous, votre humeur, votre caractère et même le sens du vent, vous allez donner à ce rictus une valeur totalement différente (voir l’article sur les projections) et vos réactions seront impactées par cette valeur, pouvant aller, à l’extrême jusqu’à la fuite, la rupture ou la tendresse.

Les mots « gravent » notre mental et façonnent notre caractère : si un enfant se voit répéter quotidiennement qu’il est stupide, surtout si ces mots sont prononcés par des figures d’autorité, il finira par le croire et aura, plus tard, beaucoup plus de mal à réussir (c’est ce qu’on appelle « l’incompétence apprise ») que celui à qui on a répété que c’était un petit génie. L’association moi = stupide devient une « autoroute synaptique ». Le cerveau cherchant à économiser l’énergie, il créé des liens plus ou moins forts servant à limiter les recherches quand cela est utile. 2+2=4 ne mobilise plus pour nous aucune énergie, c’est une sorte d’autoroute synaptique (ou un fleuve). Et comme vous l’imaginez, les autoroutes sont bien plus difficiles à dévier qu’une route de campagne (ou qu’un ruisseau). Nos pensées, au fur et à mesure qu’elles se répètent créent ni plus ni moins une carte routière dans notre cerveau lui permettant d’aller vite, de folâtrer dans ses pensées ou d’aller tout droit mais lentement.

A ce stade, il me semble intéressant d’introduire la notion de « biais cognitifs » (les « bugs » de notre cerveau qui lui permettent de réduire l’incertitude). Le plus classique est le « biais de confirmation » et personne n’y échappe. Il consiste pour nous à être plus attentif.ves à ce qui confirme notre pensée plutôt qu’à ce qui l’infirme. Revenons à « moi = stupide ». Si je pense que je suis idiot.e, suivant le biais de confirmation, je vais m’attacher à vérifier l’information en permanence. Devant un problème simple que je n’arrive pas à résoudre je me dirai « oui, mais c’est normal puisque je suis stupide » et creuserai encore plus le sillon du “moi = stupide”. Si je résous un problème simple la minute d’après, j’y prêterai une moins grande intention puisque cet événement vient en contradiction avec ce que je pense (et je rappelle que ce que je pense n’est pas né de moi mais bien de ce que l’on m’a inculqué) et gérer cette contradiction créé de l’incertitude, et est donc compliqué et énergivore.

In fine, c’est bien moi qui contribue à créer (ou valider) l’association « moi = stupide » simplement en me racontant une petite histoire : c’est normal puisque je suis stupide.

Les mots creusent des sillons. Une cliente est venu me voir pour un problème de « confiance en soi » (c’est donc l’histoire qu’elle se raconte à son propre sujet). Sa version est très générale puisque la confiance en soi, suivant qui vous êtes peut revêtir de nombreuses formes. Je lui ai donc demandé ce que cela signifiait pour elle. Après quelques minutes il ne s’agissait plus que de la peur de parler en public. A ce stade, on voit bien l’impact différent que ces deux histoires peuvent avoir sur elle. Dans un cas, elle peut se sentir mal à l’aise dans n’importe quelle situation, dans l’autre, seulement quand il s’agit de parler en public. En pointant cette différence, elle cesse d’emprunter l’autoroute « je n’ai pas confiance en moi », l’affaiblie et commence à creuser un chemin différent qui va lentement impacter sa vie et celle de ceux.celles qui l’entoure.

Mais ça n’est pas fini. La discussion continue et finalement il ne s’agit plus de confiance en elle mais de confiance dans les autres lorsqu’elle parle en public. Nous sommes partis d’une position d’auto sabotage pour arriver à une position où c’est l’autre le problème. Ai-je besoin de vous faire un dessin sur la différence d’impact au quotidien sur la vie de cette personne ?

Lorsque je travaillais dans le marketing, je me racontais que mes dossiers n’étaient jamais parfaits, dès lors, pourquoi se concentrer puisque de toutes façons je n’arriverai pas à faire quelque chose de parfait ? Évidemment, puisque je n’étais pas concentré, les dossiers que je rendais n’étaient pas parfaits et régulièrement, celui.celle à qui je les remettais tombait directement sur l’imperfection, ne lisait pas le reste, me demandait de recommencer et pensait de moi que décidément, je ne faisais pas les choses bien. Il.elle me faisait moins confiance, son manque de confiance me faisait douter de moi et penser : « il.elle a sans doute raison, ce que je fais n’est pas parfait ». La boucle était bouclée, l’autoroute roulait parfaitement bien. Il n’y avait pourtant qu’une seule erreur dans un dossier de plusieurs dizaines de pages.

Ce que vous pensez de vous (l’histoire que vous vous racontez sur vous-même) et de vos actes contribue à créer ce que vous êtes, pour le meilleur et pour le pire. En créant ce que vous êtes, vous créez du même coup vos actes et votre attitude, ce que vous faites et comment vous le faites. Et ce que vous faites … génère la réaction des autres envers vous. C’est vous qui avez créé la réaction de l’autre uniquement, à l’origine, en pensant ce que vous pensez de vous.

Si vous voulez changer votre (la) réalité, prenez simplement conscience de vos pensées, particulièrement de vos certitudes puis regardez celles qui disent qui vous êtes et éventuellement, changez-les ; elles sont bien plus importantes et créatrices que celles qui vous disent qui est l’autre, car l’autre ne créé par votre réalité, comme nous tous.toutes, il.elle l’imagine et s’y adapte comme il.elle le peut.

Pour changer la réalité, changez les histoires que vous vous racontez sur vous, vous verrez, c’est magique.

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