La peur et la colère

Combien de fois ai-je entendu qu’il fallait « gérer nos émotions » ? Je ne les compte plus ! Mais pourquoi diable faudrait-il les gérer ? Nos émotions sont elles si étranges que nous devrions nous en éloigner ?

Qu’est-ce qu’une émotion ? C’est l’expression instinctive de notre réaction face à un événement. Le mot « instinctive » pourrait être interrogé puisque nos émotions viennent à la fois de nos plus anciens réflexes (si vous croisez un lion à dents de sabre, vous serez étreint.es par la peur et ce sera plutôt une bonne chose), de notre histoire familiale (si tous vos aïeux se sont tous.tes fait taper dessus, vous aurez un rapport à la violence qui sera partiellement formé par cette histoire) et notre expérience personnelle (si vous avez été élevé.e par un couple homosexuel, votre rapport à l’homosexualité sera différent). Tout cela n’est ni mieux ni moins bien, c’est simplement ainsi. Donc, quoi que l’on mette dans l’instinct, l’émotion est son expression, nous pourrions dire peut-être qu’elle est ce qu’il nous reste de notre part « animale », voire de notre « nature ». En voulant « gérer » nos émotions, ne sommes-nous pas en train de vouloir gérer notre naturel ?

Depuis des millénaires et plus encore depuis l’avènement de la révolution industrielle, l’être humain n’a eu de cesse de vouloir réduire les aléas, de vouloir s’assurer (dans tous les sens du terme) contre les risques de la vie. Cette posture a produit d’immenses avancées techniques, scientifiques ou sanitaires et, corrélativement, une attente croissante de sécurité. L’être humain tente de maîtriser la nature et ses risques pour assurer sa propre pérennité paisible, il fait de même avec lui-même (voir ici), dernière terra incognita à conquérir.

Gérer ses émotions c’est refuser le naturel

« Chasser le naturel, il revient au galop » nous dit l’adage. Ne ferions-nous pas bien de ne pas oublier le bon sens populaire ? Certes il y a des Elon Musk qui voudraient nous rendre immortels mais globalement, la mort (risque suprême de la vie) a encore quelques beaux jours devant elle. Pourquoi donc continuer de vouloir chasser le naturel puisqu’il va nous revenir au visage ? Et comble de la désillusion, non seulement il va revenir mais plus nous y aurons résister, plus il reviendra avec force : une rivière n’est elle pas moins violente que les flots déclenchés par un barrage qui rompt ?

Ne nous trompons pas, il ne s’agit pas de se laisser aller à toutes nos peurs et à toutes nos colères : il s’agit bien au contraire de les écouter, de comprendre d’où elles viennent et, si elles ne nous conviennent pas, de les travailler pour les rendre moins puissantes mais pour cela, il faut les reconnaître et les connaître. Face à cet individu qui me parle mal, je vais être pris par l’envie de le remettre à sa place, si je ne comprends pas ce qu’il se passe pour moi, il est possible que je devienne violent.e ou que je parte la queue entre les jambes terrassé.e par la peur ou la honte, mais si je sais qu’il heurte mes valeurs, qu’il piétine une blessure, alors, j’aurais sans doute les moyens de lui répondre avec force et conviction. J’aurais exprimé ma colère juste de façon mesurée en ne me laissant pas submergé.e par elle et en éructant pas des paroles aussi incompréhensibles qu’inefficaces et plus que tout, je deviendrais responsable de mes actes au lieu de désigner cet individu comme un bouc émissaire responsable de tous mes maux. En un mot, je serai plus libre. Non parce que j’aurais « gérer » mes émotions mais parce que j’aurais appris à les connaître et donc à me connaître moi-même.

La compréhension de soi-même, sans être la seule solution est en tous cas une partie des réponses aux questions que nous nous posons - le « soi-même » pouvant s’entendre du point de vue individuel, du groupe ou de la société. Nous avons tout à gagner à faire ce travail plutôt que de tenter d’éloigner ou de gérer ce qui – selon moi – fait notre humanité, notre capacité à ne pas être qu’un cerveau logique, froid et malléable. Nos émotions font notre singularité, si nous les connaissons, elles nous donnent la force de nous lever et celle de nous dépasser. Ce sont elles qui nous permettent de dire « non » de telle façon que ce soit entendu et « oui » avec enthousiasme et intégrité.

L’être humain donc, cherche à maîtriser la nature, mais, puisqu’il fait lui-même partie de la nature, il cherche aussi à maîtriser cette partie là en lui … jusqu’à quand ? Voulons-nous devenir les intelligences artificielles de demain ? Lorsque j’étais (beaucoup) plus jeunes, dans un devoir qui nous demandait si l’informatique remplacerait un jour l’humain, je concluais que cela n’arriverait pas puisque l’informatique n’aurait jamais la sensibilité. Si nous continuons, il n’est pas impossible qu’elle nous dépasse, non pas parce qu’elle aura acquis la sensibilité mais parce que nous l’aurons perdue (nous n’y sommes pas) trop apeuré.es par cette part inconnue que nous tentons de fuir.

La peur, la colère, et toutes les émotions, peuvent nous mener dans des excès préjudiciables, nous pouvons tenter de les mettre sous le tapis ou chercher à les comprendre tout en les laissant s’exprimer sans les retenir (au risque d’arriver au barrage potentiellement funeste). Retenir (gérer) notre nature nous prive d’une part entière de nous-même et fait augmenter en nous la peur de nous couper de ce qui est – que nous le voulions ou non – notre ADN, la Vie. Pour paraphraser John Merrick dans Elephant Man … « je ne suis pas une machine ».

Mes émotions font partie de moi, les connaître me permet de les comprendre et de les canaliser, l’autre n’en est pas responsable, je peux devenir « le maître de mon âme » si je le veux et prendre en main ma vie plutôt que de blâmer l’autre parce qu’il créerait en moi des émotions qui me font peur parce que je ne les connais pas de même que je ne connais pas l’autre (voir ici encore une fois). Ce que nous ne comprenons pas nous fait souvent peur, en ne nous comprenant pas nous-même, nous créons notre propre peur et comme celle-ci n’est pas identifiée comme interne, nous avons tendance à la faire porter par l’autre, c’est un des mécanismes de la projection.

# Déshypnotisons-nous

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