Se perdre

Quand j’étais enfant, l’été, nous allions souvent en randonnée dans les Vosges avec mon père. Très régulièrement, nous nous perdions. J’avais souvent un peu peur de ne pas pouvoir rentrer et retrouver ma mère ce qui n’est bien sûr jamais arrivé.

Aujourd’hui, grâce aux GPS de nos téléphones et de nos voitures, il devient impossible de se perdre, d’aller là où nous ne savions pas. Nos chemins sont tracés, expliqués, minutés … pas de surprise ! Et si jamais des travaux viennent à contrarier ce bel ordonnancement, nous voilà maugréant sur cet intolérable imprévu ! Et pourtant …

Imaginez quelques secondes que vous voulez aller acheter du pain à votre boulangerie habituelle et observez vos pensées. De façon tout à fait automatique, votre cerveau va anticiper le chemin que vous allez emprunter. Que vous soyez à la ville ou à la campagne, il connait la route, les croisements, toutes les décisions sont prises à l’avance. Sur ce chemin il n’y a aucun danger, vous savez même éviter les nids de poule ou le feu rouge bien trop long. Votre mental fait son job : anticiper.

Si par hasard quelque chose vient gripper cette belle mécanique, le stress va immédiatement monter : comment faire pour prévoir l’inconnu, comment rester zen en passant ce carrefour que vous n’avez jamais pris. Reste de nos ancêtres qui arpentaient la savane, l’inconnu est synonyme de danger potentiel d’où, pour chacun.e de nous, la nécessité de contrôler au maximum tout ce qui nous stresse pour ne surtout pas avoir à se perdre dans les méandres du non su à l’avance. Et ces routes inconnues ne sont pas seulement sur une carte géographique, elles dessinent leurs courbes sur toutes nos cartes du monde, celles créées par nos émotions. Au boulot, en amour, en famille, partout nous avons des émotions, partout nous cherchons à éviter des chemins tortueux ou déjà trop connus et douloureux, alors, se perdre … jamais !

A force de ne pas se perdre, nous apprenons à notre cerveau que son contrôle est bénéfique, que notre sécurité (émotionnelle) est primordiale et qu’il est prié de nous éviter toute surprise (bonne ou mauvaise puisque on ne sait pas si les bonnes ne risquent pas in fine d’être mauvaises) et c’est ainsi que, lentement, nous laissons nos vies empruntées des rails qui finissent par nous échapper totalement. Nous passons le plus clair de notre temps « en mode » automatique tout ça pour une seule chose : ne passer que par des chemins déjà connus, ceux où tout se passe bien. Malheureusement, ces chemins à l’apparence si rassurante ne sont pas nécessairement ceux qui sont les meilleurs pour nous, ils sont ceux que nous connaissons. Le.la fumeur.euse fume parce qu’il.elle comble quelque-chose de même que tout ceux.celles qui souffrent d’une addiction, ils.elles ne le font pas parce que c’est bon pour eux.elles (la plupart du temps, nous sommes au courant que c’est nuisible), ils le font parce que ce chemin est connu, que nous avons appris à gérer ce chemin. Il en va de même des jaloux.ses, des violent.es, des procrastinateurs.trices, de tout.es ceux.celles qui arpentent toujours la même route de façon inconsciente : c’est la seule qu’ils.elles connaissent, elle ne réserve pas de surprise, même si elle nous mène dans le mur, ce mur est connu, au moins on le voit venir. On ne se perdra pas ailleurs.

Je n’ai plus de GPS, ni sur ma voiture, ni dans mon téléphone mais comme nous tou.te.s j’évite les routes que je ne connais pas, souvent parce que je sais où elles mènent, à des endroits que j’ai connu autrefois et qui me faisaient alors effroyablement peur. Mais aujourd’hui, n’est-il pas temps de se pencher sur ces anciens chemins, avec mon expérience d’adulte, pour voir ce qu’ils me font ? Ne serait-il pas utile d’accepter d’aller s’y perdre en prenant par la main celui qui les fréquentait jadis, pétris de trouille, pour le rassurer, lui dire qu’en fait, il les a déjà traversés, qu’il ne le sait pas mais qu’il a réussi, seul.

Nous cherchons à toujours mettre en place les mêmes solutions et ces solutions créent toujours les mêmes problèmes qu’au fur et à mesure nous croyons apprivoiser. Parfois nous en guérissons, parfois ils persistent et refont surface à l’occasion d’un stress. Alors plutôt que de les mettre de côté, de les éviter par des détours faits de clopes, de bières ou de ruptures, je nous invite à aller les voir en face, souvent ils s’évanouissent comme par magie, simplement parce que nous nous sommes perdu.es à nouveau dans un chemin que nous avons choisi d’oublier et que nous croyions “gérer”. Allons là où nous ne savons pas et là où nous croyons déjà savoir c’est là le plus souvent que nous nous libérons.

# Déshypnotisons-nous

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La peur et la colère