A la poursuite du passé
Certes, il y a le présent, ce but si difficile à atteindre bien qu’il soit là, en permanence, nous accompagnant à chaque instant. Tellement difficile à toucher que des livres et des séminaires tentent de nous apprendre comment le vivre.
Nous sommes la somme de nos expériences, rien de bien nouveau là-dedans. Chaque instant de notre vie a contribué à nous façonner. Notre environnement, le moindre de nos apprentissages volontaires ou pas, nos succès et nos faux pas nous ont appris comment la vie se passait et chacun.e de nous a un avis différent. Chacun.e se débrouille pour naviguer sur ces flots parfois calmes et parfois tempétueux. Les plus chanceu.x.seuses ont un phare qui au moins leur donne un but, d’autres errent à la recherche d’un sens. Et tout cela est le fruit de notre passé, tout cela nous dit « va par-là » ou « enfuis-toi » et selon que nous avons appris le courage, l’inconscience, la bravade ou la peur, nous obéissons ou provoquons mais toujours parce que nous l’avons appris hier et toujours pour éviter d’avoir mal ou chercher le bonheur.
Mais notre cerveau est fait de telle manière que la quête d’une vie heureuse passe par l’évitement des douleurs. Quelle que soit notre façon de faire, ce que nous cherchons – le plus souvent inconsciemment - c’est de ne pas avoir mal, même si pour certain.es d’entre nous, cela peut prendre des formes violentes qui pourraient faire croire que ce que nous cherchons c’est la douleur, je crois que là encore, ils.elles cherchent à éviter un mal plus grand que celui qu’ils.elles s’infligent.
Et tout cela vient d’hier, de l’expérience d’hier. Regardez-vous. Pas dans une glace mais dans une miroir magique, celui qui vous montre hier, avant-hier et il y a 10 ans, celui qui regarde celui.celle que vous étiez au moment où il.elle a agi comme il.elle a agi : avec colère, peur, jalousie ou excès, demandez-lui pourquoi il.elle a fait ainsi. Le plus souvent, il.elle avait peur, peur de perdre l’attention, l’amour, un objet auquel il tenait, il.elle s’accrochait désespérément à ce qui lui semblait essentiel pour vivre.
Cet être du passé est celui.celle qui vous agit aujourd’hui, vous êtes sa somme. Et dans le présent, l’immense majorité d’entre nous ne se « conduit » pas de telle ou telle façon mais est conduit par cette somme de passés, nous ne sommes pas “nous-maintenant” mais “elles.eux, somme du passé”. Si nous ne prenons pas ce chemin parce qu’il nous fait peur, c’est bien parce que nous avons appris que ce type de chemin était insécure, ça n’est pas nous à cet instant qui prend la décision, c’est le « nous » d’hier, le cumul des anciens nous. Ils nous empêchent de voir le présent tel qu’il est et nous présente ce chemin comme dangereux alors que si nous regardions avec des yeux du présent, nous verrions peut-être tout autre chose.
Si nous nous imaginons l’avenir, nous le pensons avec le nous d’hier … nous ne pouvons simplement pas le voir tel qu’il est mais tel que nous le voulons pour éviter les pièges dans lesquels nous sommes déjà passé.es. Mais nous avons grandi, nous avons changé et ce « moi », s’il faisait cette expérience pour la première fois, comment l’appréhenderait-il ? Alors, comment se détacher de nous-même ? Comment regarder le présent avec nos yeux du présent ? Comment savoir que, si nous affrontions une situation déjà vécue, nous ne la vivrions pas de la même façon ? Celui.celle qui nous la fait anticiper n’est pas nous, il est un nous qui n’existe plus et prend pourtant toute la place. Comment ? En le faisant, en nous faisant confiance dans le présent, ici et maintenant, en connaissant ces « nous-mêmes » qui dans chacun de leurs pas, dans une autre vie, dans d’autres circonstances et à un autre âge ont fabriqué qui nous sommes. Mais ces autres ne détiennent pas la vérité. Nous pouvons réinterroger leur histoire, en créer une nouvelle avec eux.elles et cesser d’avoir peur de faire ce que nous avons fait hier. Tenter de le refaire en se disant que, sans nos peurs, tout sera différent parce que nous ne serons pas concentré.es sur elles bien plus que sur notre objectif. Si j’ai peur de demain, ça n’est pas parce que je ne suis pas capable de le traverser mais parce que mon passé me le fait croire … mais je ne suis pas mon passé, je peux le changer.
Notre passé nous bouche l’avenir, il le maquille partout où nous avons eu peur le limitant chaque fois un peu plus comme un entonnoir. Si nous arrivons à rassurer chacun.e de ceux.celles qui nous ont précédé, qu’il.elles puissent nous raconter une autre histoire, il est probable que notre présent puisse élargir notre futur et le rende bien plus digne de confiance en nous-mêmes et en lui. Se connaître, c’est connaître la somme des expériences et donc chacune d’elles et ce que nous en avons fait, chacune des histoires que nous nous racontons à propos de ces expériences et, si cela doit être fait, s’en raconter une autre qui nous serve à nous construire un avenir différent que celui auquel nous croyons nous préparer.
Peut-être que finalement, nous ne pouvons pas changer l’avenir, mais nous pouvons changer le passé.