Demain, les risques

Le monde occidental nous enjoint d’aller vite, d’être efficaces, rentables. D’un autre côté, sa complexité nous prive de la compréhension de ses mécanismes. Dès lors, nous devons aller vite sans réellement savoir où nous allons. Quel sens a tout cela ?

L’être humain a ontologiquement besoin de sécurité, son cerveau est construit pour cela et nous sommes le produit de ceux.celles qui avant nous, ce sont le mieux adapté.es au monde qu’ils.elles côtoyaient, apprenant, au fur et à mesure des générations, à identifier les dangers puis à les éviter ou à les maîtriser. Mais cette stratégie a une fin et avec le progrès, nous avons créés nos propres sources de dangers : les armes, les voitures mais aussi les piscines, l’électricité, même la maitrise du feu a simultanément importer le risque au sein même du foyer, la consommation quant à elle nous donne une forme de sécurité (émotionnelle) mais l’endettement qui est souvent son corolaire apporte a contrario le stress de l’insécurité. Avec l’informatique puis internet et maintenant les smartphone et l’IA, un mouvement initialement bienfaiteur montre, comme pour les autres progrès, leurs parts de risques qu’il nous faut – là encore – tenter de maîtriser. Pour cela, nous avons inventé le Xanax et l’assurance. En mutualisant les risques et leurs indemnisations, nous les limitons. Les assurances étant des sociétés privées soumises aux règles de la rentabilité, il faut continuellement inventer des règles et des limites qui nous imposent de ne pas utiliser les progrès comme bon nous semble : limitations de vitesse, feux tricolores, barrières autour des piscines, alarmes en tous genres sont autant de règles à respecter au risque de ne pas être assuré.es et de devoir payer de notre poche, éventuellement, à vie. En cherchant à tout prix la sécurité, nous limitons de fait nos libertés, créons de nouveaux dangers, les limitons, … et ce mouvement va en grandissant.

Responsables mais pas coupables

… nous ont dit les politiques à l’époque où le « principe de précaution » n’existait pas encore. Pour se protéger encore un peu plus, nos « responsables » ont inventé une notion qui permet de justifier de mettre en place des règles avant que le danger n’arrive, parce qu’on sait que son potentiel est présent du fait précisément de la rapidité du progrès et de l’absence de recul qu’il devient impossible de prendre. Mais, cette notion se heurte régulièrement à l’exigence de vitesse qui a particulièrement trouvé son apogée lors de la pandémie de Covid : les opinions publiques (nous donc) voulaient de la sécurité et les économies devaient repartir vite, les vaccins ont été développés à une vitesse inégalée. Bien sûr, cette rapidité est potentiellement au détriment de la sécurité que nous demandions et les compagnies pharmaceutiques ont dû se prémunir contre tout recours (en cas de préjudice, c’est l’état (donc nous) au-travers de l’ONIAM qui est responsble). Ainsi, on entend des voix qui nous alertent sur les futurs dangers réels ou supposés de ces vaccins. L’avenir le dira mais en tout état de cause, c’est en voulant créer de la sécurité que nous avons créé du danger ou au moins de l’incertitude.

Le mot « Pharmakon » revient à la mode. Tous les progrès récents en sont : le mal et le remède en même temps. L’internet nous permet de savoir plus vite mais, en nous donnant toutes les réponses instantanément, il déshabitue notre cerveau à être patient, à réfléchir et donc à savoir et apprendre par lui-même, la voiture bardée d’électronique nous permet une conduite hyper sécure (ABS, airbag, GPS, détections en tous genres) mais nous rend de moins en moins conducteur.trices et nous désapprend lentement la maîtrise du véhicule et de son environnement. En voulant être assuré.es pour tout, de façon légitime, progressivement, nous nous déresponsabilisons … « Axa y pourvoira », même les entreprises tentent de diluer leurs responsabilités en multipliant les intermédiaires.

De même, nous déléguons aux fabricants de l’agroalimentaire la responsabilité de nous dire si ce que nous mangeons est bon pour nous ou pas : le « nutri-score », pourvu qu’il ait un A est le sésame absolu vers nos estomacs sans se demander si le mien et le vôtre ont les mêmes besoins. Certes, il s’agit d’un progrès puisque la « mal-bouffe » est maintenant étiquetée suivant des normes (que nul.le ne connait), mais pendant ce temps, on oublie lentement à faire la cuisine à partir de produits frais dont nous savons d’où ils viennent et comment ils ont été cultivés ou élevés, et ce d’autant plus que, pressé.es d’aller plus vite, nous n’avons pas le temps de nous préparer le moindre plat et notre petit-déjeuner se limite bien souvent à un café déjà encapsulé. Notre volonté de sécurité alimentaire a étiqueté les produits, nous rassurant et nous ôtant la responsabilité de ce que nous mangeons au sens où nous ne le fabriquons plus ce qui nous permettrait de réellement contrôler ce que nous ingérons. Le mal et le remède en même temps.

Tous les excès mènent dans le même mur.

Je ne veux pas ici dénoncer le progrès et revenir, comme certains l’imaginent, à la bougie, loin s’en faut. Mais jusqu’il y a quelques décennies, l’être humain intégrait les progrès qui se passaient sur une ou deux générations, aujourd’hui, c’est en quelques années que nous sommes passés de l’ordinateur personnel au smartphone, nous ne pouvons plus nous adapter alors nous nous assurons pour diminuer cette peur d’être happé.es par un progrès que nous ne comprenons plus ou qui nous échappe. Trop de progrès, trop vite, créé de l’incertitude et le cerveau déteste l’incertitude.

Avec le changement climatique, les sociétés d’assurance sont de plus en plus sollicitées : les catastrophes naturelles se multiplient, les pandémies animales ou humaines s’enchainent et le prix de l’assurance suis le mouvement. Jusqu’à quand ? Combien serons-nous demain à ne plus pouvoir nous offrir l’assurance de notre maison ou de la scolarité de nos enfants ? Pour masquer cette augmentation il est probable qu’à l’instar du McDo qui ne change pas de prix mais qui réduit sa taille (shrinkflation), les couvertures seront de plus en plus limitées et les « petites lignes » de plus en plus nombreuses. Nous voulions de la sécurité, nous allons créer de l’insécurité à force d’excès de protections de nous-mêmes et des assurances vis-à-vis d’elles-mêmes. Demain, serons-nous mieux assurés, vivrons-nous dans un monde moins “risqué” ?

Pour combler le tout, il suffit d’écouter un journal télévisé pour être assaillis de dangers (voir ici ou ). Les media sont eux aussi soumis à la rentabilité, ils ont besoin que nous les regardions et pour cela ils jouent sur nos émotions dont … la peur ! Les “alertes” se multiplient, on nous inquiète parce qu’un froid “polaire” déferle sur la France au mois de janvier avec des températures extraordinaires de … -3°C, et on apprend que l’on a trouvé un mort dans un appartement à 800 kms de chez nous … le monde est dangereux nous dit-on, et c’est ainsi que nous devons nous “réarmé.es” d’urgence !

Ça n’a l’air de rien mais notre cerveau, construit pour nous apporter une sécurité vitale, se trouve mis en échec dans ce mouvement. Il fait tout pour que nous soyons hors de dangers et c’est précisément ce mouvement qui finit par créer ce qu’il cherchait à éviter : le danger. Hier il pouvait en quelques générations s’adapter, aujourd’hui, en une vie, il ne le peut plus et cela génère un stress grandissant, d’autant plus nuisible qu’il est faible mais continuel, un peu comme la grenouille que l’on plonge dans l’eau froide qu’on l’on chauffe à petit feu : quand c’est trop chaud, c’est aussi trop tard … elle est déjà cuite ! Appelons-le « burn-out », dépression, éco-anxiété ou ce que vous voudrez, ce stress est à bas-bruit, nous explose au visage sans que nous l’ayons vu venir et contribue à de nombreuses maladies psychologiques et physiques (qui augmentent encore le besoin et le prix d’assurance). Il arrive au rythme des changements sociétaux c’est-à-dire, encore pour l’instant, lentement mais bien trop rapidement pour qu’il soit évitable.

Et alors, on fait quoi ?

Ce tableau peut sembler angoissant et donc augmenter encore le stress qu’il promet mais il n’en est rien. Nous demandons à la société du progrès et de la sécurité. Le progrès est lié à notre système basé sur la consommation et le profit (ce qui, comme tout le reste, n’est selon moi pas un mal en soi) il doit donc générer de la lassitude et de la frustration auprès des consommateurs, il doit provoquer du besoin de mieux continuellement. De l’autre côté, la sécurité est par de nombreux points en opposition avec le progrès chaque nouveauté étant d’une certaine manière risquée, les lois et les règles sont donc inventées pour gommer cette contradiction et nous rassurer.

Accepter les risques. Ils sont inhérents à la vie ! Quoiqu’on veuille nous faire croire, nous ne pouvons pas tout contrôler et notamment pas la vie. Tout système cherche avant tout à rester vivant, la société est un système et la terre en est aussi, comme nous. La question est de savoir lequel de ces systèmes est le plus fort. Elon Musk pense sans doute que c’est l’intelligence humaine, pas moi. Pour limiter notre stress et nos peurs, il faut accepter les risques et donc nos responsabilités individuelles : si je me brule, c’est que le feu brule et que je m’en suis trop approché, ça n’est ni de la faute de la bûche, ni celle de l’allumette. En faisant cela, de nombreux bénéfices secondaires se mettent progressivement en place dont la confiance (en soi et dans les autres). En acceptant notre propre faiblesse, nous avons l’occasion de les travailler (plutôt que de déléguer leurs gestions au “marché”) et améliorons notre confiance en nous. Nous sommes obligé.es de nous en remettre, au moins partiellement aux autres mais comme notre confiance en nous augmente, elle nous permet de mieux évaluer celui.celle à qui nous la donnons et si nous nous plantons, de mieux rebondir.

La connaissance de soi, sans rien oublier de nos forces, faiblesses, petites lâchetés ou incohérences, nous permet de savoir objectivement et sans céder à nos croyances limitantes, ce dont nous sommes capables et ce pour quoi nous avons besoin d’aide. Quand nous la demandons, nous le faisons vraiment, sans aucune autre intention cachée et nous recevons exactement ce dont nous avions besoin.

Plutôt que de créer vainement de la sécurité pour remplir les trous que nous creusons nous-mêmes, je crois qu’il est plus salutaire d’accepter une part d’insécurité, elle nous permet d’être face à nous-même, de nous battre quand c’est nécessaire et de, progressivement, nous renforcer, d’éprouver notre sens des responsabilités (les nôtres, individuelles) et d’améliorer notre confiance en nous au lieu de nous affaiblir à coups de compagnies d’assurances, de panneaux indicateurs et de règlements qui ne donnent que l’illusion du contrôle.

# Déshypnotisons-nous

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