L'adaptation en question

Depuis Sapiens, il y a 300.000 ans, l’être humain s’adapte. Il voyage, invente, se regroupe, se bat ou fuit et se reproduit, transmettant à la génération suivante ce que les précédentes ont appris. Avec la découverte de la génétique puis de l’épigénétique et l’apport des neurosciences, on comprend de mieux en mieux ce mécanisme de transmission.

Depuis un peu plus d’un siècle, la radio, la télévision et internet ont achevé de rendre notre monde (beaucoup) plus petit et (beaucoup) plus rapide nous obligeant là encore à nous adapter. Les « fenêtres du monde » sont devenus beaucoup plus grandes nous permettant de savoir et de voir en direct ce qui se passe à l’autre bout de la planète.

Parallèlement, hormones et neurotransmetteurs contribuent à façonner nos réponses à notre environnement et donc nous-même : l’adrénaline augmente avec la peur pour stimuler nos capacités à fuir pendant que la dopamine nous fait aimer le risque et stimule notre rapport à la récompense opposée à la sérotonine qui elle, au contraire, nous invite à rester bien sagement là où nous sommes déjà bien installé.es (tout ceci étant très résumé).

Si vous visitez des sites d’hypnothérapeutes, vous verrez que nombre d’entre eux citent les films comme exemple des effets de l’hypnose. En effet, quand vous vous « plongez » dans un bon film ou un bon livre, vous vous « débranchez » de la réalité et partez dans le monde qui vous est proposé. Vous entrez en transe, vous lâchez le contrôle et tout votre corps s’adapte à cette nouvelle situation, et de même que le skieur ou le violoniste qui s’entraîne sans violon ou sans ski, la majeure partie de votre cerveau « croit » que ce que vous voyez est la réalité et ce d’autant plus que vous y plongez. Pourquoi croyez-vous qu’en regardant un film, si vous avez peur, vous sursautez ? Parce que votre cerveau croit que c’est réel et qu’il envoie à votre corps toutes les informations liées à cette réalité.

Un soir, j’ai voulu regarder un film, j’avais le choix et en cherchait un qui me tente. Guerre, aventure, comédie, romance, j’avais le choix. Rapidement je constatais que j’éliminais d’office les films violents ou agressifs et me demandais si je n’étais pas un peu trouillard tout de même ! Depuis quelques années, il se trouve que je n’ai plus la télévision et que je ne regarde donc plus les actualités. Ainsi, je me prive du film quotidien de l’histoire de la planète, celle qui nous est montrée, celle qui active nos émotions les plus primaires. En me demandant pourquoi j’évitais ces films alors qu’il y a quelques années un bon « Silence des Agneaux », un petit « Seven » ou « Dexter » me plaisaient tant, aujourd’hui, ils ne me tentaient plus. Peut-être parce que l’Adrénaline est aussi une drogue et que plus j’en prends, plus j’en veux, je la cherche.

Réfléchissons 2 secondes et prenons quelques pas de recul. Nous sommes une dizaine de milliards sur la terre et si nous comptons bien, l’immense majorité d’entre nous vie en paix avec ses voisin.es non ? Quelques-un.es sont en guerre ou agressent mais quelle est leur proportion ? 1% ? 5 ? Franchement, regardez autour de vous, combien de vos voisin.es sont violent.es ? Et si même nous imaginons ce qui se passe dans les pays en guerre, la majorité est-elle en train de se battre ou est-elle chez elle à subir des combats décidés par d’autres ? Je lisais il y a peu un article qui parlait des « pays » en guerre, mais, sont-ce les « pays » qui sont en guerre ou les dirigeants de ces pays ? Les citoyen.nes de base comme vous et moi, pour la plupart aspirent à la tranquillité non ? Vous pourrez m’accuser d’angélisme ou de manichéisme et vous aurez peut-être raison mais en tout été de cause, les chaines d’info consacrent 90% de leur temps à nous parler de drames, y a-t-il 90% de drame dans votre environnement immédiat, dans votre réalité ?

Le problème, c’est qu’en regardant ces images, le cerveau y croit et il fait ce qu’il a toujours fait : il s’adapte. Pour cela, il nous envoie du stress pour nous préparer à fuir et … manque de chance, nous sommes dans notre canapé et nous ne pouvons pas fuir, il n’y a pas de réponses adaptatives adéquates.

Si je cherche à me documenter par exemple sur les effets de la violence sur les écrans, les deux premiers résultats de recherche sont BFM dont le titre de l’article est « Les écrans sont-ils vraiment dangereux pour les jeunes ? Voici ce que dit la science ». Il ne vous aura pas échapper que BFM a besoin des écrans pour vivre et qu’on ne scie pas la branche sur laquelle on est assis et donc sans vergogne, la chaine créée le doute dès le titre. La « science » était aussi appelée à la rescousse dans les années 60 pour nous expliquer tous les bienfaits du tabac. Le Figaro quant à lui (2nd résultat) titre « comment la violence sur les écrans rend les ados agressifs » … au moins, c’est clair, mais les journaux papier tirent l’essentiel de leurs revenus du papier et non des écrans. Chacun y va donc de son objectivité tout en prenant soin de ménager ses intérêts d’autant que le sujet a été propulsé sur le devant de l’actualité par notre président lui-même !

Demander à un lapin si le civet est bon pour la santé

Malheureusement, pour nous informer, nous utilisons majoritairement les écrans … autant dire que nous demandons à un lapin si le civet est bon pour la santé ! Autre biais, l’actualité étant ce qu’elle est, on ne parle que des enfants comme si nous, adultes, étions bien assez grands pour faire la part des choses … mais croyez-vous vraiment qu’à baigner dans un monde de violence il n’y ait aucun effet sur nous ? Le croyez-vous sérieusement ? Pensez-vous qu’une personne normale plongée dans une vie de guerre ne soit pas impactée ? Maintenant, rallumez votre télévision, regardez-là quelques heures et dîtes moi à combien de suggestions de violences avez-vous été exposé.e ? Le cerveau ne fait pas la différence entre réel et imaginaire, pour lui, à 90%, c’est la même chose. Alors, que fait-il ? Comme il l’a toujours fait : il s’adapte. Il nous envoie des signaux de stress, nous prépare à fuir. Malheureusement, en l’occurrence, il n’y a pas de fuite possible puisque les choses se passent dans notre tête dès lors, ce qu’il cherche à fuir, c’est nous-même, ce qui augmente les maladies psychosomatiques, les problèmes psychologiques et, j’ose le penser, les maladies auto-immunes.

Je ne suis pas médecin et encore moins neuro-scientifique mais je le constate sur moi : je fuis. Mais ce que je fuis dorénavant, ce sont les images violentes et c’est un choix. Cela ne signifie pas que je me cache les yeux ou les oreilles sur l’actualité, seulement que je ne la laisse pas m’envahir à mon insu, que je ne baigne pas dans un monde virtuel que mon cerveau prendra très vite pour la réalité. Parce que non, il n’y a pas de pédophiles à tous les coins de rue, ni des terroristes ou des guerres, il suffit pour s’en convaincre d’ouvrir notre porte (pas celle d’un palestinien ou d’un israélien) pour s’apercevoir que dans notre rue, il ne se passe rien. Je ne prône pas le retrait sur soi, loin s’en faut, je dis simplement que si nous voulons un monde calme, il faut aussi regarder du côté du calme pour que notre cerveau se calme à son tour et fasse baisser notre niveau de stress et de peur. Rappelons-nous qu’une des réponses au stress est le combat (Fight, Flee, Freeze (combat, fuite, gel)) et qu’on le veuille ou non, en nous abreuvant de violence, nous nous mettons en position d’être agressif.ves.

L’adaptation nous a toujours fait grandir, mais si nous nous adaptons à un monde de plus en plus imaginaire, nous obtiendrons ce que nous imaginons … en l’occurrence …

Nous nous adaptons … mais à quel monde ? Vous prendrez bien une petite Orange Mécanique …

# Déshypnotisons-nous

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