Comment les media utilisent (manipulent) nos émotions ?

Les media se font sans cesse l’écho des inquiétudes de certain.es au sujet des émotions (et singulièrement la peur) qui seraient devenues un moyen de gouverner, il m’a semblé intéressant, dans le cadre de ce blog, de disséquer quelques-uns de ces mécanismes et la façon dont ils s’instillent en permanence dans nos vies.

Préambule : L’objet de cet article est de montrer la façon dont nous sommes constamment influencés (pour ne pas dire manipuler) par ce qui nous est dit et plus singulièrement par la manière de nous le dire : choix des mots, techniques rhétoriques, images, rien n’est laissé au hasard.
Rappel : tout l’objet de ce blog est de partager avec vous mes connaissances pour nous aider à reprendre le contrôle de nos pensées et non de juger telle ou telle source d’informations sur le fond.

En préparant cet article, j’ai pu constater que chaque media avait son terrain privilégié pour nous faire réagir (la réaction visant l’implication, première technique de manipulation utilisée par les influenceurs de tous poils (cf. « petit traité de manipulation à destination des honnêtes gens » Joule, Beauvois édition PUG)). Pour nous impliquer, la voie royale étant les émotions, chacun a choisi son terrain … exemples …

Le Figaro : la peur

Voici, à titre d’exemple, la première page du site du Figaro le samedi 16 octobre 2022 (j’aurais pu faire cette analyse sur de nombreux autres media).

  1. « L’école toujours sous la menace islamiste ». Cette phrase porte en elle deux présupposés : le premier, est que c’est l’école dans son ensemble qui est menacée et non pas quelques-unes, on parle bien de l’institution (sinon, le titre aurait dû être « des écoles » ou « les écoles »). Vous noterez que si la menace pèse sur l’institution, c’est d’une part bien plus grave que si elle ne portait que sur quelques établissements et d’autre part cela sous-entend que l’islamisme a le pouvoir de menacer l’école en tant qu’institution ce qui suggère que l’islamisme est au moins l’égal d’une institution !
    Second présupposé : elle était déjà menacée (induit par « toujours »).
    Une menace a ceci de particulier que contrairement à une attaque, elle ne tombe pas, on l’attend, on la redoute, elle pérennise la peur. Cependant, une menace, le plus souvent, est le fruit de l’imagination de celui qui la subie. Longtemps par exemple, la « menace nucléaire » n’avait d’existence que par le simple fait que les armes existaient, quasi personne n’a menacé de s’en servir sauf pendant la crise de Cuba.

  2. “Un professeur …/… menacé de mort”. Même si la menace, si elle est avérée, est intolérable, il faut raison garder, il ne s’agit « que » d’un professeur sur les plus de 850.000 qui enseignent en France.
    N’étant pas abonné au Figaro (ni à Libération – voir plus bas), je n’ai pas eu accès à l’article, cependant, il est important de se poser quelques questions sur le contexte, ce qui s’est vraiment passé, etc. (même si encore une fois, la menace de mort sur qui que ce soit, est intolérable).

  3. Le sondage et l’art de la question « la menace islamiste contre les professeurs est-elle mieux prise en compte ? ». Il y a une vraie difficulté dans cette question en ce sens qu’elle est totalement orientée. En effet, si je crois qu’il n’y a pas de menace islamique sur les professeurs, je ne peux répondre ni oui, ni non. Mieux encore, je peux être tenté de répondre « non » mais ce faisant, je valide le fait qu’il y a une menace.

  4. L’une des premières techniques de manipulation a un nom c’est “le pied dans la porte”. Il consiste à vous impliquer. On vous pose une question, vous pouvez y répondre, vous avez donc le pouvoir. Or vous comme moi avons vraisemblablement très peu de pouvoir sur ce dossier (d’autant qu’il s’agit d’un sondage du Figaro, pas du gouvernement ou de l’administration). Cependant, par ce biais, le journal vous implique et vous rend donc responsable d’autant que la question est hautement émotionnelle. In fine, avec ces 4 petits titres, vous avez appris (si vous ne le croyiez pas déjà) qu’il existe une menace, que cette menace pèse sur l’institution éducative et vous vous sentez concerné.e sans pouvoir rien y faire ou presque : votre stress vient d’augmenter que vous le vouliez ou non.

Libération : le coeur

Libération utilise d’autres moteurs, s’ils sont moins apeurant, ils n’en sont pas moins efficaces. Plutôt que de s’adresser à notre cerveau reptilien, le journal cible notre cœur, chacun sa technique pour nous toucher et surtout, nous faire réagir.

« Ukraine, une guerre au cœur de l’Europe » : il s’agit du titre d’un dossier, présent en ligne quasiment depuis le début du conflit. Inutile de détailler ce que nous fait le mot « cœur », tout le monde le sait. Cependant, dans ce contexte, on peut l’interroger. En effet, cela ne vous échappera pas, l’Ukraine est très loin d’être au cœur (centre) de l’Europe, elle est même à son extrémité est. Si nous ne parlons pas de géographie, peut-être s’agit-il du cœur « moral ». Non plus, aux dernières nouvelles, l’Ukraine de fait pas partie de l’Europe au sens de ses institutions politiques. Mais alors, de quoi s’agit-il ? Simplement de nous faire vibrer, de nous impliquer émotionnellement. Le titre du centre venant accentuer cet effet : chacun de nous pouvant se sentir concerné.e par les difficultés de cette personne.
Libération est devenu par ailleurs le spécialiste de la théâtralisation de ces titres en maniant le jeu de mots à tout va, là encore une manière de parler à nos émotions, de nous faire sourire et de nous impliquer en nous incitant à faire un effort (parfois grand) pour comprendre leurs jeux de mot.

BFM : le stress

Regarder les chaînes d’info est l’assurance d’augmenter notre stress (je prends ici l’exemple de BFM mais LCI ou CNews utilisent les mêmes ressorts). Ces media, comme les autres « doivent » nous garder devant l’écran (ils vivent de la publicité, rappelons-le), pour cela, le stress haletant est un moyen comme un autre de se saisir de notre « cerveau disponible » (P. Lelay, patron de TF1) et de ne plus le lâcher.

Sur cet écran (n’ayant pas la télévision, il s’agit d’une copie d’écran sur mon ordinateur), il y a 4 informations différentes au moins, sans rentrer dans le détail, notre cerveau est déjà stressé par le simple fait qu’il doit lire, comprendre et différencier ces informations.
Jacques Morel apporte la caution technique, « ancien patron de la section recherche », on peut imaginer qu’il sait de quoi il parle, cependant, on peut aussi espérer que, en tant qu’« ancien » et donc simple citoyen, il n’a pas accès au détail du dossier. La caution officielle est ici accentuée par la fiche de police qui semble officielle.
« La course contre la montre » : le sentiment d’urgence ne peut être plus clair, même s’il est réel, là encore notre stress augmente d’autant plus que nous sommes – pour l’immense majorité d’entre nous – dans l’impuissance. Cette impuissance augmente notre stress.
« Alerte info », mention présente quasi continuellement sur les chaînes d’info est, là encore, ici pour augmenter notre stress et notre attente que quelque chose arrive. En l’occurrence, lisons : des lancements de missiles pendant l’entrainement … quels missiles ? Par qui ? Est-il normal ou pas de lancer des missiles pendant l’entrainement ? Rien n’est dit mais c’est une alerte donc on nous fait supposer que c’est grave (donc inquiétant).
Enfin, le replay qui n’est pas choisi au hasard : « ligne rouge » et « barbare » achèvent de nous mettre dans la position d’un spectateur potentiellement terrorisé par le passage d’une ligne par des “barbares” … pour le moins stressant également d’autant qu’ils ne sont pas nommés, donc invisibles donc encore plus dangereux.

Tout cela n’est pas nouveau et je ne vous apprends peut-être rien, mais le stress et la peur impliquent que nous (notre cerveau) attendons une réponse, cette réponse est évidemment apportée par celui qui nous pose la question, dès lors, nous sommes particulièrement attentifs à ce qu’il va nous dire et la boucle est bouclée : BFM nous stress pour nous garder en « éveil ». Seul hic, cet « éveil » nous endort à coups d’adrénaline (l’hormone du stress) et l’adrénaline, comme toutes les hormones est une drogue à haut pouvoir addictif. Vous avez dit « manipulation » ?

Entendons-nous bien, en comprenant ce qui est en jeu pour les media (avant toute chose leur survie économique liée quasi exclusivement à la publicité) on comprend l’impérieuse nécessité qu’ils ont à nous maintenir en alerte en utilisant nos cordes sensibles. Ce faisant, non seulement ils arrivent à leur fin mais en plus, ils l’entretiennent et nous empêchent de changer de point de vu au lieu de nous éclairer. Or, comme chacun.e le sait, le changement est la seule chose qui est constante dans la vie. A minima, changeons de media.

# Deshypnotisons-nous

NB : Malheureusement (pour cet article), je ne suis plus sur aucun réseau social, version moderne des media, et n’est dont plus accès aux FaceBook, What’s app et consorts ni aux plus récents tiktok & co (usines à abêtir). Je ne pourrais donc vous parler de leurs algorithmes plus que je ne l’ai fait ici et comment ceux-ci nous figent dans nos pensées nous empêchant de les faire évoluer vers plus ou une meilleure connaissance de notre environnement mais vous trouverez aisément sur internet de nombreux articles ou vidéos tout à fait explicites et documentés à commencer par le film “derrière nos écrans de fumée”.

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