Vœux hypnotiques

Lorsque j’étais en formation nous avions étudié un discours de Barack Obama. Pourquoi faire cela en formation d’hypnose ? Pour y relever toutes les techniques qui empruntent à celles de l’hypnose et à l’art de l’influence. En voyant les vœux d’Emmanuel Macron, il m’a semblé intéressant de faire – au moins partiellement – le même exercice.

NB : Il va de soi que cette analyse aurait pu être faite avec n’importe quel.le homme ou femme politique, chacun.e tentant de nous manipuler dans son sens.

Ne nous leurrons pas, nous sommes continuellement sous influence. Quand nous choisissons de nous habiller de telle ou telle façon nous sommes influencé.es par un cadre auquel nous nous conformons ou au contraire nous opposons et nous tentons d’influencer ceux.celles que nous allons rencontrer. Quand dans un geste aussi simple qu’une poignée de main, nous signifions un bonjour, là aussi, nous transmettons des messages sans même le savoir. C’est ainsi, nous sommes sous influences. Une fois qu’on le sait, on a le choix de les suivre ou pas, exactement comme quand un objet joliment présenté nous fait un clin d’œil depuis une vitrine, nous avons le choix de rentrer l’acheter ou pas.

Parmi les techniques d’hypnose, il y a « l’hypnose conversationnelle ». Comme son nom l’indique, elle ne consiste qu’en une discussion. Vous vous en doutez, quelques connaissances et techniques permettent de rendre cette conversation utile et thérapeutique ou manipulatoire, ainsi, par exemple, Obama dans son discours utilisait la « futurisation » : en parlant du futur au présent il ancrait son auditoire dans une forme de réalité déjà existante que chacun dans la foule pouvait « ressentir ». Il faisait appel successivement aux 5 sens avec un rythme particulier pour faire lâcher prise à son public et ainsi le rendre plus perméable à ses propos. Hier soir, Emmanuel Macron nous a souhaité une bonne année 2024, « une année de détermination, de régénération, de choix et d’espérance » a-t-il conclue. Cet article - analytique et non politique - vise à pouvoir s’interroger sur le « choix » que nous promet notre président ou comment, en nous y invitant, il nous en prive peut-être. A vous d’en juger.

La conjonction « mais » permet d’affirmer quelque chose tout en annulant ce que l’on vient de dire. Si je vous dis « cette tarte est bonne mais elle est trop sucrée », je vous dis en fait que je ne la trouve pas bonne. Si je veux vous dire qu’elle l’est, alors, je devrais dire qu’elle est trop sucrée mais qu’elle est bonne. Ainsi, notre président nous dit, vers le début et après une longue liste de faits plus ou moins dramatiques : « alors il y eu bien sûr des moments heureux, des moments de fierté … mais … je sais combien la peur du retour de la guerre … ». La longue litanie de choses désagréables nommées, vise à nous mettre dans un commun, quelque-chose que nous sommes tous censés vivre, ce sont des affirmations et une généralisation. Quant aux « moments heureux et de fierté », ils ne sont pas nommés, en effet, le but ici est de revenir à l’individuel. Nous avons tous eu des moments agréables mais ils sont personnels et grâce au « mais », ils ne font pas partie du « commun », celui auquel il veut nous associer, ce « mais » permet de rendre ces moments moins importants, presque inexistants, puisqu’ils ne sont pas de l’ordre de la nation. Le « commun », il le « sait » est fait de peurs (du retour de la guerre, du déclassement) et il se propose de les lever, justifiant ainsi sa présence et sa politique. Le mot « peur » ne sera employé qu’une seule fois dans ce discours mais à la charnière de celui-ci, à la base de tout ce qui découlera par la suite, il en est le tournant et le socle.

Le mot peur n’est prononcé qu’une fois, en revanche, celui de « protéger » l’a été 5 fois et celui de « réarmement » 8 (dont majoritairement accolé à des sujets habituellement loin de l’armement : école, santé). Si je vous protège, c’est qu’il y a un danger n’est-ce pas ? Et si je me réarme, c’est que nous sommes en guerre (comme lors de la pandémie). Les mots ne sont évidemment pas choisis par hasard et s’ils sont si présents, est-ce parce-que il y a un danger ou parce que l’on veut faire peur et appeler à suivre la parole de celui qui parle ? La peur n’est pas citée mais elle est très largement suggérée au point que le seul chiffre donné est celui du doublement du budget des armées. Dans ce cadre, y a-t-il vraiment un choix : suivre ou mourir ? De même, il nous offre une alternative : « poursuivre la transition écologique et productive ou revenir en arrière ». Cette alternative est en fait un non choix dans sa formulation : la notion « écologique et productive » réunis deux mots qui s’opposent afin d’interdire un « retour en arrière » qui n’aurait alors pas de sens dans la mesure où le débat actuel est précisément de faire un choix entre écologie et productivisme. En utilisant la formule « Affirmer la force des démocraties libérales ou céder au mensonge qui sème le chaos », là encore, il n’y a pas de choix puisque c’est le chaos ou la force des démocraties libérales, tout ce qui s’oppose à cette force des démocraties (réelle ou supposée) devient un mensonge, cette façon de présenter les choses empêche précisément d’agir sur les « démocraties libérales » quoiqu’on en pense. Techniquement, c’est un “choix illusoire”, certes, je vous donne 2 possibilités mais l’une d’elles n’est pas acceptable. Tout au long de ce discours, il y a une volonté de ne pas nous donner le choix : c’est ça ou la guerre, ça ou le chaos et la peur, seulement tempérés par nos petits plaisirs personnels qui ne peuvent faire nation puisque nous devons être « unis » dans l’action qui nous est proposée. Le choix illusoire est une technique de base dans l’art d’influencer. Dans la vie de tous les jours, elle s’approche des « injonctions contradictoires » qui sont à la base de nombreuses difficultés psychologiques et que nous utilisons très souvent sans le savoir : « si tu veux un câlin, arrête de t’amuser » (si je suis sage, j’aurais un câlin mais je ne m’amuserais plus, si je m’amuse, je n’aurai pas de câlin … il n’y a pas de bonne solution), l’injonction contradictoire est un piège de la pensée dont je ne peux sortir qu’en remettant en cause les termes de ce qui m’est proposé ce qui nécessite un véritable effort puisque je dois remettre en cause l’autorité que l’on m’apprend par ailleurs à respecter.

Un président n’échappe pas au mécanisme de la projection, et je dois avouer que je suis tenté de me demander s’il parle de notre pays ou de ce qui se passe dans sa tête, je ne le saurai jamais. En revanche, ce que je sais, c’est que les hommes et les femmes politiques, par les mots, les structures, les silences et les absences, ne cessent de nous influencer et c’est de bonne « guerre » puisqu’ils briguent nos suffrages … « mais », nous serions bien avisés de prêter attention à ces influences pour mieux nous déterminer, selon nos propres choix, non soumis aux techniques d’influence mais plutôt aux réalités que nous percevons dans notre quotidien – qui n’est peut-être pas celui qu’on nous présente sur les chaînes d’info.

Quant à moi, je vous souhaite une année éclairée et lumineuse (et c’est peut-être une projection quoique chacun.e puisse voir la lumière là où il.elle le souhaite 😊)

# Désypnotisons-nous

Le discours d’Emmanuel Macron : elysee.fr/emmanuel-macron/2023/12/31/voeux-aux-francais-pour-2024

Pour ceux.celles que ces techniques intéressent, je vous suggère le film d’Yvan Attal : « Le Brio » avec Daniel Auteuil et Camélia Jordana.

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