Pet contenu, furoncle au cul ! Le "gestion" de nos émotions
Pardon pour les âmes sensibles mais cette phrase, prononcée par une amie et tirée du bon sens paysan (que l’on devrait toujours écouter) me semble tout à fait adéquat pour illustrer ce que je pense de l’expression « gérer ses émotions » dont on nous rebat les oreilles.
Il faudrait donc “gérer” nos émotions … hmmm … et en vertu de quoi exactement ? C’est vrai que si l’on arrive à gérer nos émotions, on aura tout d’une machine et les tenants du transhumanisme pourront nous expliquer que l’IA est enfin arrivée au niveau de l’être humain et ce même si, de fait, ça aura été l’humain qui sera descendu au niveau de l’IA. Donc, pourquoi diable faudrait-il gérer nos émotions ? Parce que ça gène le voisin de me voir pleurer ? Parce que la dame d’à-côté ne sait pas comment faire avec les gens tristes ? Parce qu’il ne faudrait pas trop s’offusquer, se mettre en colère devant une situation injuste ou violente ? Parce que la joie est trop bruyante, parce que mon bonheur n’est pas partagé par tou·tes et qu’il faudrait le cacher ? Pourquoi dois-je “gérer” mes émotions ?
Gérer ?
« Administrer un bien conformément aux intérêts de celui qui le possède » nous dit-on chez Larousse. Alors voilà, je suis une outre à émotions, j’en ai un stock de chaque, je les « possède » et je les utilise avec parcimonie … faudrait pas gâcher !
Ou alors, parce que, comme les émotions ça part tout seul, ça ne se commande pas ces choses-là, ce serait plutôt qu’une fois présentes, il faudrait les limiter un peu, qu’elles ne se voient pas trop (faudrait pas que j’ai l’air riche non plus), qu’elles ne dérangent pas ceux·celles qui - eux·elles - gèrent.
Allez, disons que « gérer » signifie qu’il ne faut pas trop qu’elles se voient parce ça ferait désordre.
Émotion ?
Non, ça n’a rien à voir avec Peugeot (« motion and e-motion ») … Ah oui, vraiment ? … « Motion » signifie « mouvement » en anglais et bien, une émotion est précisément une invitation à la mise en mouvement : la colère parce que quelque chose de désagréable nous arrive et qu’il faut y réagir, la peur parce qu’une situation d’urgence plus ou moins vitale nous pousse à fuir ou à nous battre, la joie pousse plutôt à « l’aller vers » et au partage, la tristesse à extérioriser une difficulté. L’émotion, c’est le mouvement, c’est ça qui nous fait changer !
Et donc, il faudrait en gérant nos émotions ne pas faire trop de vagues, ne pas trop bouger c’est bien ça ? Je discutais il y a peu avec quelqu’un qui vie une situation qui le met en colère, il m’en parlait et me disait « de temps en temps je craque et ça tombe sur un.e malchanceux.euse » … il gère ! Et c’est précisément parce qu’il gère qu’il craque !
Les émotions sont des alertes, elles sont importantes et sérieuses. Avez-vous vu ce dessin animé génial « inside out (vice versa) » qui raconte la vie de nos émotions en les remplaçant par des personnages dans nos têtes ? Et bien, imaginez par exemple que vous êtes en colère ou triste et imaginez que tristesse et colère sont des mini-vous qui habitent dans votre tête. Maintenant, imaginez que vous avez une grosse montée de tristesse (ou de colère), que le mini-vous triste se rapproche de vos yeux (à l’intérieur), est très très triste, il pleure à chaudes larmes. Mais, vous, parce que vous “gérez”, vous ne laissez rien paraître, devant vous il y a cette personne que vous voulez impressionner, auprès de qui vous ne pouvez pas sembler faible et donc, vous serrez les dents et rien ne transparait.
Le mini-vous à l’intérieur voit que vous ne le considérez pas, que vous ne prêtez pas attention à lui ou seulement pour lui dire de retourner se coucher, que c’est bon, on a compris. Là, au lieu de calmer sa tristesse, vous l’augmentez, simplement parce que vous le rejetez (rappel : c’est une partie de vous-même que vous rejetez). Quelques jours plus tard, une situation similaire advient, là encore vous devez faire bonne figure, là encore mini-vous est triste et là encore vous le renvoyez à ses mouchoirs. Vous gérez, il se tait et sa tristesse augmente encore. Et la situation se représente encore et encore et vous gérez toujours … Au bout d’un certain temps que croyez-vous qu’il arrivera ? Oh, il y a le choix … la dépression, le burn out, la crise de larmes, on se tord la cheville juste avant d’arriver à une situation qui semble similaire aux précédentes et parfois on s’en sort par un pirouette ou en pleurant tout.e seul.e le soir chez nous.
Pet retenu ?
Revenons au titre de cet article ! Si les émotions existent, ça n’est pas pour être retenues, tout n’est pas gérable, administrable ! Plus vous retenez vos émotions, plus elles augmentent alors arrêtez ! Si vous voulez en faire quelque-chose alors, je suggère de les canaliser, de les laisser sortir par leur voie normale et à chaque fois qu’elles montrent le bout de leur nez. Attention, je ne dis pas d’exploser dès qu’une émotion vous traverse, simplement, au minimum, de prendre en considération l’émotion en question (et elles sont parfois imperceptibles). Sinon, le risque ce sont les « furoncles au cul » ou, autrement dit, toutes les pathologies psychosomatiques reconnues ou pas comme telles (et la liste est longue) mais avant cela, au lieu d’avoir un petit filet de colère qui dira “pardon mais là, tu me fatigues alors, tu te calmes”, vous aurez un torrent beaucoup plus violent qui sera la somme de tous les petits filets que vous aurez “gérés”. Laissez couler vos émotions, elles vous veulent du bien ! Et en même temps, apprenez à les canaliser (plutôt que gérer) c’est à dire, de temps à autre, à les laisser se faire guider par une forme de réflexion comme celle par exemple consistant à comprendre d’où elles viennent.