Mourir

Chaque être vivant est condamné à mourir, il suffit d’attendre. Certains auront une vie extrêmement courte, d’autres vivront plusieurs siècles. Au milieu de tout cela, l’être humain vivra le temps d’une fraction de seconde à l’échelle de l’histoire de la planète, une éternité du point de vue d’un éphémère, autour de 70 ou 80 années dans notre échelle de temps.

Mais qu’est-ce que mourir ?

La chenille meure-t-elle lorsqu’elle se transforme en papillon ? Le fœtus meure-t-il lorsqu’il devient bébé ? Quant à nous, sur les 100 milliards de cellules qui nous composent, 20 milliards meurent chaque jour, les plus vieilles de nos cellules ont 15 ans, et elles sont rares. Seules exceptions : les neurones et les cellules du cœur et encore (1). Autant dire que nous sommes quasiment entièrement renové.es en permanence. La presque totalité de ce qui nous compose meure et se renouvèle plusieurs fois au cours de notre vie, nous sommes donc entièrement neuf.ves plusieurs fois au cours de notre existence mais mourons-nous pour autant ?

Si un neurone mort n’est pas remplacé, d’autres se créent et favorisent la plasticité du cerveau (la plasticité de cerveau est ce qui nous permet – grossièrement – de changer d’avis ou de réaffecter un neurone à une nouvelle tâche en cas de besoin). Et n’en déplaise aux « jeunistes », des neurones se créent quel que soit notre âge : en changeant, je ne disparais pas.

Le bébé qui ne sait pas marcher et qui se « voit » donc comme un être rampant meure-t-il lorsqu’il se met à se déplacer debout ? Sa vision de lui-même est pourtant radicalement différente, il passe d’une vision du monde au ras du sol à un regard en altitude, les objets prennent des dimensions nouvelles, les peurs et les plaisirs ne sont plus les mêmes, l’espace s’agrandit d’un coup et sa chambre devient un univers infiniment plus grand une fois la porte ouverte. Ses capacités de volition se multiplient, il devient presque une autre personne. Ne parlons pas de l’embryon humain qui n’a pas grand chose de commun avec ce qu’il va devenir, ni de la naissance qui nous fait sans doute un peu mourir à nous-même. Que dire des traumas ? De ces personnes qui dans un pays en guerre ont vu ou subi des atrocités ? Ils ne sont plus les mêmes, leur ancien eux n’est plus.

Que penser de celles et ceux parmi nous qui font un burn-out, passant d’un métier satisfaisant, réglant une bonne partie de leur vie, à un dégoût profond, se sentant « obligé.es » de tout changer radicalement ? Sont-ils.elles réellement toujours les mêmes ? Dans quelle mesure pourrions-nous dire que leur ancien « moi » serait mort ?

La seule chose qui est constante dans la nature, c’est le changement : tout change, en permanence et tout revit sous une forme ou sous une autre : rien n’est détruit, rien ne se crée, tout se transforme dit-on. Pourquoi échapperions-nous à cette règle ?

Ce qui uni un corps (vivant ou minéral) c’est l’énergie, si celle-ci disparait, le corps se désuni et prend une autre forme, mais l’énergie n’a pas disparu, elle s’est seulement déplacée, elle est allée ailleurs, exactement comme l’énergie électrique se déplace d’un neurone à un autre quand nous changeons d’avis faisant « mourir » une idée que nous avions et dont nous étions pourtant certain.es il y a quelques heures encore. L’idée est morte et le nous qui nous faisait agir en fonction de cette idée, est mort avec elle.

« L’envie de suicide n’est pas toujours un désir de mort, c’est le désir d’en finir avec cette façon de vivre » (Boris Cyrulnik), j’oserais dire que c’est presque toujours ainsi. Il s’agit bien de mort, il s’agit bien de tuer, mais il n’y a pas la mort au sens matériel du terme si l’on parvient à “seulement” changer de vie. Changer, c’est mourir un peu, accepter ou vouloir passer à autre chose, à une autre vie. Ne regardons plus les désespérés comme des futurs morts mais simplement comme des personnes qu’il faut aider à changer.

Mon propos n’est pas ici de dire que nous ne mourons pas ou de philosopher sur la mort, je crois simplement qu’il faut accepter de mourir constamment.

Que se passerait-il pour vous si vous acceptiez l’idée que nous passons notre temps à faire ce que nous appelons « mourir » ? Que deviendrait la mort pour vous si elle était présente à chaque instant de votre vie et ne signifiait que le fait que nous changeons continuellement d’état, vous y-compris ?

# Déshypnotisons-nous

(1) naturolistique.fr/renouvellement-cellulaire

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