La Loyauté, un frein au changement
Je me souviens de l’un de mes premiers clients, il avait une vingtaine d’années et réussissait parfaitement ses études. Malheureusement, à chacun de ses examens, il échouait lamentablement. Il vint me voir pour ce qu’il croyait être un problème de confiance. A la deuxième séance, je l’interrogeai sur ses parents, il me dit que son père était un ouvrier à la retraite. Le métier auquel il se destinait, allait lui apporter beaucoup plus de revenus que ceux que son père n’avait jamais pu gagner et vraisemblablement beaucoup plus de reconnaissance sociale. Dans son inconscient, c’était impossible, un plafond de verre le lui interdisait. Ce qu’il prenait pour un manque de confiance était de la loyauté envers la condition de son père, il s’interdisait de le « dépasser ». Loyauté verticale.
Une autre de mes clientes avait un problème de poids, bien sûr, le premier réflexe est de parler de nourriture. De ce côté-là, aucun problème puisque non seulement elle mangeait normalement mais en plus, particulièrement sainement et avec raison. Pourtant, elle continuait à prendre du poids. Cette femme avait vécu une enfance compliquée, sa sœur cadette était handicapée et sa mère violente. Très rapidement dans sa jeunesse, elle s’était fait un devoir de protéger sa sœur et “naturellement”, son corps s’était rendu « imposant » pour faire barrage entre sa sœur et sa mère. Maigrir revenait donc à abandonner son rôle de protectrice et donc sa sœur. Là encore, c’est la loyauté à un rôle qui l’empêchait de dépasser ses difficultés. Loyauté horizontale celle-là.
Sans parler de ses enfants, abusés par un parent qui ne peuvent le dénoncer ou même en parler, de peur de faire exploser la famille, de perdre le parent fautif voire de supporter le poids de la culpabilité liée à la dénonciation. Là aussi, la loyauté est à l’œuvre même si celle-ci n’est pas nécessairement dans ce cas, le fruit d’une longue lignée familiale.
Je pourrais vous citer encore de nombreux exemples de mes client.es ou rencontres qui, n’arrivant pas à dépasser leur mal-être, l’attribuent au manque de confiance, aux addictions ou à tout autre symptôme apparent.
Derrière les loyautés, les plus belles des intentions ?
Nous sommes tous.tes, le produit d’un héritage que nous le voulions ou non. Notre langue façonne notre réalité, nos ancêtres gaulois - ou pas - participent à nous transmettre une histoire et un caractère, nos grands-parents nous ont légué une légende familiale, nos parents nous ont donné une éducation, des principes, des valeurs et tout ceci a forgé notre identité, ce que nous sommes. Bien sûr, avec entre autres, les prises de conscience successives, tout ce leg peut-être remis en cause et nous devenons, petit à petit, ce que nous voulons être (plus ou moins) et non plus ce qu’on nous a appris à être. Mais parfois, la loyauté vient créer une résistance à ce changement, elle nous empêche de devenir, parce que ce que nous voudrions vient en contradiction avec un élément fort de notre personnalité : nos valeurs.
Et si vous vous demandiez quelles sont vos valeurs, qu’est ce qui fait que vous vous levez le matin ? Attention, il ne s’agit surtout pas de vous juger, l’argent par exemple ou le sexe ne sont ni bien ni mal en eux-mêmes, la liberté ou la justice non plus ! Quand l’Abbé Pierre récolte des millions d’euros pour sa fondation, peut-on dire que c’est « mal » ? Quand la « liberté » consiste à nous matraquer de publicités, est-ce vraiment « bien » ? Je vous invite à faire cet exercice : quelles sont vos valeurs ?
Il est vraisemblable (et si ça n’est pas le cas, tout va bien aussi) que parmi vos valeurs il y en ait qui ressemblent à Justice, Amour, Respect … Ce sont elles – la plupart du temps - qui soutiennent les « loyautés ».
Les loyautés « Ce sont des liens invisibles qui nous attachent aux autres – aux morts comme aux vivants -, ce sont des promesses que nous avons murmurées et dont nous ignorons l’écho, des fidélités silencieuses, ce sont des contrats passés le plus souvent avec nous-mêmes, des mots d’ordre admis sans les avoir entendus, des dettes que nous abritons dans les replis de nos mémoires.
Ce sont les lois de l’enfance qui sommeillent à l’intérieur de nos corps, les valeurs au nom desquelles nous nous tenons droits, les fondements qui nous permettent de résister, les principes illisibles qui nous rongent et nous enferment. Nos ailes et nos carcans.
Ce sont les tremplins sur lesquels nos forces se déploient et les tranchées dans lesquelles nous enterrons nos rêves… » (D. de Vigan « Les loyautés »). Tout est dit.
Ce qui sous-tend les loyautés, c’est une sorte de contrat tacite passé avec nos ascendant.es ou nos contemporain.es proches. Ce contrat, porté par notre contexte familial et social, vaut parole donnée, même si elle n’a pas été prononcée : je dois, je ne dois pas, il faut, il ne faut pas. Et c’est bien alors l’amour (de nos parents, frères, sœurs), le respect que j’ai pour eux ainsi qu’à la lignée qui précède qui me rend « prisonnier.ère » de ces schémas pour notre « meilleur » ou notre « pire ».
Par la loyauté, nous préservons le groupe auquel nous appartenons (famille, entreprise, …) et sa structure. En les préservant, nous nous préservons aussi puisque nous en faisons partie. Les non-dits, les secrets, les petites ou les grandes hontes familiales, mais aussi les succès et les honneurs nous lient au système familial et/ou social auquel nous appartenons et qui doit être préservé jusqu’à ce que, parfois, une crise salvatrice ou destructrice vienne tout changer. L’enjeu est donc de taille et susceptible de nous freiner ou même de nous empêcher totalement : maintenir en équilibre le groupe auquel nous appartenons, quitte à – parfois – nous sacrifier. C’est ainsi que les secrets perdurent, que les « donneurs d’alertes » sont si rares et qu’un groupe ou un système, quel qu’il soit, peut se maintenir malgré les erreurs commises.
Et vous, quelles sont les loyautés auxquelles vous obéissez ? N’y a-t-il pas un trait de votre caractère que l’on vous a rabâché mille fois et que vous « respectez » plus que vous ne l’expérimentez ? Ce point que vous n’arrivez pas à dépasser, est-ce vous qui n’y parvenez pas ou une injonction extérieure qui vous empêche de réussir ? Posez-vous la question : Dans l’un des groupes auquel j’appartiens, suis-je en train d’obéir à un contrat pour l’instant inconscient et, si oui, quel est-il ?
Si vous souhaitez compléter cette lecture, vous pouvez consulter cet article parmi d’autres : Les Loyautés