La face cachée de la peur du manque
La peur du manque … combien d’entre nous en souffrent ? Pas vous qui êtes fumeur.euse, pas vous non plus qui prenez l’apéro trop régulièrement ? Ne parlons pas de vous qui êtes jaloux.se, ni de vous qui ajoutez du sucre ou du sel systématiquement et encore moins de vous qui courrez pour ne pas être en retard.
La peur du manque ne se limite pas aux gestes des personnes sujettes aux addictions qui vont trouver un tabac pour ne pas avoir à faire face à un paquet vide au beau milieu de la nuit, elle va activer aussi celui.celle qui parle sans s’arrêter, qui courre pour ne pas rater quelque-chose, qui achète pour ne pas s’imaginer ringard.e … elle n’est certes pas partout, mais elle est bien là.
La société (occidentale) que nous avons collectivement fabriquée est – c’est officiel – basée sur la consommation et son ressort principal est de nous montrer qu’il y a mieux que ce que nous avons : moins cher, plus efficace, plus écolo, … tout, pourvu que nous ne l’ayons pas déjà et … que nous l’achetions. Pour faire fonctionner cette société, nous avons de plus en plus besoin de performance et les injonctions qui invitent chacun.e de nous à y contribuer sont nombreuses. Qu’il s’agisse d’aller plus vite grâce à la fibre ou à mieux préserver l’environnement, nous devons sans cesse faire mieux, plus vite et moins cher. La performance, elle aussi, est (presque) partout. Cette société ne créé pas le manque mais elle y contribue fortement en nous habituant à ne plus être tolérant à la “frustration” de ne pas obtenir ce que nous voulons et le plus rapidement possible.
Comme toutes les peurs, celle du manque nous protège, selon qui nous sommes et de notre perception des dangers, ce sera de tel ou tel risque mais pas nécessairement de ne pas avoir car l’important n’est pas ce que nous aurions ou pas mais ce que nous apporte ce que nous aurions. Que m’apporte la cigarette, l’alcool, mon.ma compagnon compagne, que me donne ce bijou ou ces chaussures ? Ils.elles m’apportent ce que je crois ne pas avoir.
A quoi sommes-nous attentifs ?
Que se passe-t-il quand j’ai peur de manquer ? A quoi suis-je attentif ? A ce que je n’ai pas ou risque de ne plus avoir ! Au lieu de me concentrer sur ce que j’ai, sur ce qui pourrait me satisfaire si je le voyais, je me concentre sur ce que je n’ai pas, sur le vide. Ainsi, comme souvent, je créé ce que je cherche à éviter. Mon amoureux.euse va chez des amis : je pense au fait qu’il.elle pourrait ne pas revenir plutôt que de profiter du sentiment qui nous unis ; je veux dire quelque chose que je crois intéressant : je me précipite pour le dire sans attendre que l’autre soit attentif en me focalisant sur le temps qui risque de me manquer pour le dire ; mon paquet de cigarette est presque vide : je pense à l’heure qu’il est, au bureau de tabac qui va fermer au lieu de prendre encore plus de plaisir à fumer ces dernières cigarettes. La peur du manque rend le manque encore plus présent, elle le met au centre de nos préoccupations, créé le vide que nous cherchons à éradiquer et nous y maintient … comme une drogue.
Le manque créé le manque bien plus sûrement que le tabac, l’alcool, la jalousie ou la course, la preuve c’est que nous cherchons continuellement à le combler en ne nous intéressant qu’à lui. Mais alors, pourquoi nous y accrocher comme une moule à son rocher ? Probablement parce que, comme toutes les peurs, le manque créé un stress, que le stress nous fait produire – entre autres - de la dopamine et qu’en plus, l’assouvir produit de la sérotonine, hormone du plaisir et de la récompense (je me donne de l’amour) autant dire qu’une vraie pharmacie se met en branle … pourquoi se passer d’un tel « cercle vertueux » ? Qu’est-ce qui est utile dans le manque pour que nous le créions en permanence ?
L’ombre et le trou
Comme le suggérait Jung, intéressons-nous à notre part d’ombre et en l’occurrence ici, l’ombre à la forme d’un trou, un vide béant sous nos pieds : le manque. Et si notre peur de manquer de temps, de clopes, de sucre ou de copain.ine, nous permettait tout simplement de nous donner de l’amour à nous-même, celui-là même dont, peut-être, nous croyons avoir été privé.es en d’autres temps ? Car cette peur a un bénéfice : nous avons le moyen de la combler et nous ne nous en privons pas : en achetant, en revoyant, en arrivant à l’heure, nous nous rassurons, nous apportons ce doudou qui nous manquait tant, cherchant sans cesse à nous donner ce que nous attendions de l’autre parce que nous avions appris que la privation était « normale » et que c’est ainsi que le monde fonctionne.
Bien sûr, le mécanisme du manque peut avoir plein de ressorts différents, mais combien sommes-nous, au-travers de cette « peur », à fonctionner ainsi, à chercher le manque bien plus qu’à l’éviter puisque nous le créons ? Alors, vous me direz, comment faire pour cesser de reproduire ? Peut-être en acceptant de laisser partir, en acceptant d’être vraiment faible, quelques temps, plutôt qu’un peu mais tout le temps. Bien sûr, de nombreuses résistances se mettront en place, nos pensées vont nous pousser à revenir à l’état d’avant, bien plus confortable car nous avions le pouvoir de le faire cesser, mais au bout, si nous y arrivons, il y a la plénitude. Nous aurons réussi à remplir le trou avec nous-même, avec nos forces et nos ressources (celles-là même que nous ne voyions pas tout concentré.es que nous étions sur le manque) plutôt qu’avec de l’urgence, du tabac, de la possessivité ou n’importe quoi d’autre, et en étant plein de nous-même, nous n’attendrons plus rien de l’autre (objet ou personne) et pourrons en profiter pour ce qu’il.elle est et non plus pour ce qu’il créé comme semblant de comblement qui n’est qu’une séparation d’avec nous-même dans la fuite sans fin de « moi seul.e ».