L'inceste : la colonisation émotionnelle

Avertissement : je ne suis pas psychologue, je n’ai pas fait d’études sur les sujets de maltraitance sexuelle ou pas. Dès lors, cet article basé uniquement sur mon expérience personnelle et professionnelle n’engage que moi. Si le sujet vous intéresse, je vous invite à vous documenter auprès d’autres sources.

Comme dans la plupart de mes articles, je voudrais d’abord m’attacher à définir les mots que nous soyons sûrs, vous et moi, de parler de la même chose : « L’inceste qualifie les « relations sexuelles prohibées entre parents très proches, entre parent et enfant, entre enfants d’une fratrie (y compris demi-frère et demi-sœur), entre grand-parent et petit enfant, ou encore entre oncle ou tante et neveu ou nièce, voire selon certains entendements entre cousins » (wikipedia). Comme vous le lisez, il s’agit de « relations sexuelles », elles-mêmes définies par la loi comme donnant lieu à une pénétration (de/avec organes génitaux, bouche, doigts, etc.). Les définitions sont importantes, mais elles ne sont pas tout et surtout, elles ne disent rien des effets à court ou long terme sur la personne qui subit l’inceste. Notons qu’au sens de la loi, se masturber devant un enfant ne serait donc pas un inceste de même que regarder du porno en sa compagnie. Cependant, cela a un nom : « l’incestuel » et ce peut être aussi délétère que l’inceste.

En France, selon IPSOS pour « face à l’inceste », 6,7 millions de personnes déclarent avoir subi un inceste(1). Il convient toujours de prendre les chiffres bruts avec des pincettes, en effet, rien n’est dit sur les questions posées et la sensibilité de chacun, il n’en reste pas moins qu’une dizaine de pourcents de la population est concernée alors que les condamnations ou même les signalements sont infiniment moins nombreux. Mais comment signaler ces agissements alors même qu’ils se déroulent dans la sphère la plus intime qui soit, dans le silence des chambres et l’environnement rassurant de la relation familiale ? Comment ne pas prendre le risque de se tromper, erreur qui pourrait être aussi grave si l’on sait que la plupart des policiers confrontés à ce problème ne sont en rien formés et qu’une accusation à tort est toujours un drame.

Dans cet article, je n’évoquerai volontairement pas les cas d’inceste avec violence (au sens des menaces ou des coups portés, il est bien entendu que l’inceste est – en soi – d’une extrême violence), je veux m’attarder sur les cas de « persuasion douce », de « jeu » voire même d’ « amour » qui font croire à l’enfant que tout est normal qu’il s’agisse de relations incestueuses (avec pénétration) ou de relations incestuelles.

Un papa – le plus souvent – explique à sa fille – le plus souvent aussi - que pour être gentille, il faut lui faire un câlin et, de loin en loin, que sa main peut descendre, jouer avec le zizi de papa et puis encore plus loin et encore plus loin. Un grand-père qui dit à sa petite fille « tu sais, il ne faut pas laisser les garçons te caresser là » tout en lui en faisant la démonstration, ces situations que l’on imagine « facilement » ont pour ressort l’amour, celui d’un père et d’une fille, d’un grand-père et de sa petite fille. Elle met l’enfant face à une « injonction paradoxale » : si j’aime papa, je fais ce qu’il demande mais je n’aime pas. Si je ne le fais pas, papa ne va plus m’aimer. En d’autres termes, il n’y a pas de bonne solution, dans tous les cas, je n’aime pas, dans tous les cas, je perds et je souffre. Qui plus est, en général, une phrase du genre « c’est notre secret hein ?! » ou « tu ne le diras pas à maman d’accord ? » vient ponctuer l’acte, rendant impossible d’en parler puisqu’on ne doit pas désobéir.

Dans d’autres articles, j’ai évoqué le mécanisme de « généralisation » qui préside à nombre des réactions de notre cerveau, ce mécanisme sert fort justement à nous protéger. Nous vivons une expérience négative : le cerveau apprend, une seconde similaire : il apprend encore et fait des rapprochements pour, in fine, regrouper toutes les situations équivalentes dans une case « danger ». Si je me fais mordre par un teckel puis par un chien-loup, rapidement, je pourrai avoir peur des chiens en général oubliant que toutes les races de chiens ne sont pas méchantes et que j’ai peut-être simplement rencontré deux chiens battus (il n’y a pas nécessairement de parallèle à faire avec l’ « incestueur » quoique qu’il soit, en général, lui aussi, en souffrance). Le mal est fait, mais il est pour mon bien : me protéger des chiens qui, dans mon apprentissage, me mettent en danger.
Dans le cas de l’inceste, le chien ne peut devenir papa (puisque papa ne peut pas être méchant et qu’il peut encore moins me dire de faire des choses qui ne sont pas bien), mais comme il faut bien trouver quelque chose qui informe notre cerveau du danger imminent, l’alerte deviendra l’amour, le jeu ou la persuasion douce et les dégâts dans l’avenir de la vie amoureuse risqueront d’être importants. Dès que l’amour se présentera, il sera regardé comme un danger potentiel, un lieu de mensonge, de rupture et de douleurs, dès que le jeu interviendra, il générera du stress, de l’absence de recul et des comportements inadéquats, la persuasion quant à elle fabriquera de la méfiance, du désinvestissement alors même que, dans la vie de tous les jours, elle est un outil nécessaire et le plus souvent utilisé correctement. Peu importe, nos bases fondamentales sont bouleversées : amour et jeu induisent de la peur, de la dépendance affective, de la fuite de l’autre, comme s’ils ne pouvaient n’être que rappel inconscient du mensonge initial : si tu m’aimes tu dois souffrir, si tu joues, c’est pour perdre quelque-chose.

L’inceste est – le plus souvent – un trauma violent, dès lors, un autre mécanisme se met à l’œuvre : la mémoire traumatique. Son travail : nous faire oublier l’insupportable. Le tour est joué ! Je ne sais plus ou plus très bien ce que j’ai subi, je me vois juste agir – adulte – d’une façon qui fini par me déplaire mais je ne sais pas comment l’arrêter n’ayant rien à quoi me raccrocher et parfois, un jour, au détour d’une conversation la scène revient et inonde notre présent.
Et, si on y regarde bien, le jeu est partout dans nos vies, l’amour quant à lui … n’en parlons même pas puisqu’il est même présent entre nous-même et nous-même. C’est ainsi que l’inceste irrigue toute notre vie, toutes nos relations, tout ce qui fait que nous sommes nous sans même que nous le réalisions, sans même que nous sachions pourquoi nous sommes ainsi. La graine qui a été plantée initialement croît au plus profond de nous : dans nos sentiments, dans notre relation à l’autre et dans notre relation à nous-même, elle crée un risque permanent dans le contact humain, une peur inconsciente qui motorise chacune de nos relations, tout ça parce que douleur et jeu ou douleur et amour ont été associées un jour par celui.celle qui avait la responsabilité de nous en donner les clés. Mais les clés sont tordues par celui-là même qui devait nous les transmettre.

Sortir des conséquences de l’inceste

En tant qu’accompagnant, mon expérience montre que la première chose à faire est de parler, de libérer la parole, quel que soit le prix à payer pour celui qui écoute. Mais écouter ne suffit pas, il faut aussi réparer. Pour cela il faut entendre les dégâts en osant interroger, corriger les croyances qui sont en train de se former et qui pourraient devenir beaucoup plus solides avec le temps, remettre le jeu, l’amour et la persuasion douce à leurs places : aucun d’eux ne devraient être un danger, expliquer, travailler sur les intentions et sur l’attente de la victime quant aux relations qu’il veut avoir avec son « incesteur ». Le but : éviter la colonisation des sentiments les plus fondamentaux pas des peurs qui prendraient toute la place. Chaque graine que vous retirerez libérera une place pour que l’amour ne soit pas envahi par l’ombre et redonne à la victime l’espace nécessaire pour développer un rapport plus apaisé aux relations humaines.

C’est bien parce que l’inceste nous est inoculé par les « veines » de l’amour qu’il est si dévastateur : il entre en nous par le plus beau des canaux, celui qui porte la vie, il s’y répand et déforme totalement notre vision et notre relation à l’amour. Alors, pour en sortir, le mieux selon moi est d’emprunter le même chemin : amour et patience, confiance sans béni oui oui, écoute, empathie, fermeté peut-être aussi parfois, accompagnement constant, redéfinitions jusqu’à ce que tout ait été dit, que plus un secret ne subsiste, que l’eau soit redevenue aussi claire que possible.

Un jour peut-être – je ne vous le souhaite pas – vous serez face à un enfant qui vous parlera d’inceste … commencez par vous dire que s’il parle, il a déjà traversé le plus difficile des interdits : désobéir, puis écoutez-le et soyez attentif, interrogez-le avec bienveillance, faîtes-vous accompagner et recueillez ses paroles et surtout, dîtes-lui bien une chose : « ça n’est pas de ta faute ». L’inceste, n’est pas une maladie génétique, cependant, la transmission n’est sans doute pas étrangère au phénomène, alors, travailler sur ce mal revient non seulement à soigner la victime mais aussi toutes les personnes concernées ainsi que les générations à venir en rompant la « chaine de transmission » qui participe au drame tout en étant, en aucun cas, une excuse.

Quant à ceux qui commettent l’inceste, ils peuvent (doivent ?) aussi être entendus et aidés. Il est sans aucun doute insupportable de penser à se dénoncer mais, est-il envisageable de parler, de demander pardon, d’essayer de corriger ce qui peut l’être ? De se faire accompagner par un professionnel ? Que veulent-ils pour eux-même et pour l’autre, se laisser ronger par les remords et laisser l’enfant et l’entourage nager dans la confusion ? Le voir trébucher sans cesse et avancer de travers ? Que veulent-ils vraiment pour cette personne dont je ne doute pas – malgré tout – qu’ils l’aiment ?

# déshypnotisons-nous

(1) par principe, je prends les sondages commandés par celui qui a des “intérêts” dans les résultats avec circonspection.
Reportage : Arte : inceste, anatomie d'un crime intime
Références :
https://facealinceste.fr/blog/dossiers/le-nouveau-chiffre-de-l-inceste-en-france
https://facealinceste.fr/blog/dossiers/l-inceste-en-dix-chiffres-chocs
https://fr.statista.com/statistiques/1231341/nombre-victimes-inceste-france/

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