Chronique d'un hypno en colère 2 : et l'humain dans tout ça ?

Il y a 2 ans et demi, j’écrivais la première « chronique d’un hypno en colère ». Mon précédent métier n’était alors pas très loin derrière moi, je commençais à avoir un peu d’expérience dans le nouveau, l’article parlait de l’hypnose collective notamment au travers de la publicité et des media. Depuis, je continue à observer notre monde et parfois, la colère refait surface.

J’ai dû récemment faire un examen médical, une échographie pour être précis. Je téléphone donc au cabinet de la ville voisine que l’on m’avait indiqué et prends rendez-vous (je vous passe les détails mais dès cette étape, la puce aurait déjà dû être à mon oreille). Le jour dit, j’arrive au centre. Des baies vitrées toute neuves gravées de formes de plantes, une porte automatique, un palmier et un ficus (les derniers signes de vie). L’endroit est nickel, tout neuf, moderne. L’entrée passée : je fais face à trois bornes automatiques surplombées d’un écriteau m’invitant à les utiliser avant de faire quoi que ce soit d’autre. La borne me demande si j’ai rendez-vous, je luis réponds, m’invite à la nourrir de ma carte vitale puis de ma carte d’identité qu’elle scanne. L’impression désagréable d’être fiché commence à faire son apparition. Elle me demande ensuite ma carte de mutuelle et enfin l’ordonnance justifiant ma présence devant elle. Je la lui glisse, elle la scanne elle aussi. Visiblement suffisamment nourrie, elle digère toutes ces informations personnelles et me recrache un ticket doté d’un numéro et d’une invitation à me rendre dans l’une des salles d’attente. Je me rends dans cet endroit posé dans un couloir doté de banquettes droites comme des i. Les écrans surplombent la salle égrainant les numéros de passage et quelques messages sanitaires, aucune plante, aucune lecture, pas le moindre tableau aux murs (mais il est vrai que le plus souvent, les patient.es ont désormais les yeux baissés vers leur smartphone). A ce stade, aucun humain ne m’a salué. Une porte s’ouvre, une femme en sort et m’appelle. Je la suis, elle me demande de fermer la porte derrière moi et de me mettre torse nu puis disparait … dans ma tête, les mots « bonjour » et « au revoir » font un bref passage comme pour me dire qu’ils manquent. Un homme entre, d’apparence il est sec … son apparence se verra confirmer par son mode relationnel. Ne plaisantant qu’à moitié je lui dis alors que je m’attendais à être mis dans un caddie qui m’aurait amené directement jusqu’à la machine. « Ah bon, pourquoi ? » me demande-t-il. Je lui réponds que je n’ai vu aucun humain avant lui ce à quoi il me dit qu’il faut vivre avec son temps. « Ah, il n’y a donc pas d’humain dans votre temps ?! » lui dis-je. « Oh vous savez, pour saisir une carte vitale … et puis, dans les banques c’est pareil » ce à quoi je m’autorise à lui répondre que peut-être, dans une profession médicale, l’humain peut avoir de l’importance » pour m’entendre dire, « vous savez, si vous n’êtes pas content, vous pouvez aller ailleurs » (no comment) … L’examen dure 3 minutes chronomètre en main et il conclue en me disant qu’il peut me dire ce que ça n’est pas mais pas ce que c’est et que « ce que c’est » est un choix parmi des centaines … merci pour l’info, elle est utile. Il m’invite à sortir, ce que je fais. Là, ne sachant pas ce que je dois faire, je m’enhardis à aller voir une des secrétaires cachée derrière deux écrans : « vous attendez, on appellera votre numéro ». J’attends donc éclairé par cette nouvelle.

“Il faut vivre avec son temps”

Une personne arrive sur un brancard avec 2 infirmiers. La femme qui s’en occupe va jusqu’aux bornes et son regard devient de plus en plus brumeux … elle n’a aucun des documents, la borne ne peut lui répondre … malgré tout, elle parvient – après de longues minutes - à lui faire cracher un numéro. Je pense à la personne sur le brancard et me demande si elle n’est pas mourante ou prise d’atroces souffrances. L’infirmière se dirige vers l’une des secrétaires (cachée elle aussi derrière 2 écrans) et lui narre ses difficultés. La secrétaire la remercie de ce retour et lui dit que le bornes sont faites pour que « ce soit le plus facile possible pour vous ». Quelques secondes plus tard, une femme arrive et dit « bonjour, je ne viens chercher que des résultats » et la secrétaire de lui dire d’aller à la borne et de taper sur le bouton « je viens chercher des résultats » (quoi d’autre ?) … j’espère que la borne ne lui annoncera pas un cancer car a priori, elle n’est pas dotée d’un distributeur de mouchoirs et me demande si « le plus simple pour nous » ne serait pas d’avoir des dialogues avec des « vrai.es gens » plutôt qu’avec des bornes si bien configurées soient-elles. Mais personne n’a l’air de partager ma pensée … tout leur semble absolument normal, ils.elles vivent sans doute avec leur temps…

Finalement, mon numéro est appelé (encore), je me rends devant l’un des guichets avec 2 écrans, il n’y a pas de chaises ou m’assoir suggérant ainsi que je suis prié de ne pas m’éterniser (de toutes façons, si j’étais assis, les écrans m’empêcheraient de voir la personne qui me fait face et si j’étais en fauteuil roulant ce serait pareil), une main me tend mes « résultats » (en jargon évidemment), je repasse le ficus, le palmier, les vitre gravées et repars chez moi atterré par cette expérience.

Où est passé l’humain, l’alliance thérapeutique ?

J’ai la chance d’habiter dans un village où il y a un cabinet de médecins, j’en suis ravi, ils.elles sont compétent.es, attentif.ves et aimables. Quand je leur dis que je suis hypnothérapeute, ils.elles s’intéressent la plupart du temps et me questionnent. L’ordre des médecins quant à lui fait tout ce qu’il peut pour empêcher les non médecins de pratiquer l’hypnose. Pourquoi ? En façade parce que nous ne serions pas capables de faire face à d’autres situations qu’à l’arrêt du tabac. Combien d’années d’études faut-il pour être radiologue ? 11 ou 12 ans suivant la spécialité, qu’y apprend-on ? A lire et comprendre des résultats pour être à même de poser un diagnostic (sans doute pas à se contenter d’exclure une hypothèse parmi des milliers). Ce diagnostic peut s’avérer compliquer à entendre (cancer, grossesse compliquée, maladie grave) et il est probable qu’alors un minimum d’humanité soit utile. Dans mes formations on m’a souvent parlé de « l’alliance thérapeutique », elle n’est simplement que la relation qui existe et se tisse entre un.e professionnel.le de santé et son.sa patient.e et il s’avère qu’elle a un rôle important dans le processus de guérison (à tout le moins, du point de vu psychologique) et une chose est certaine : les bornes automatiques ne créent rien qui ressemble à cette alliance.

Certain.es sont inquiet.tes de voir leur métier disparaitre, avalé par l’IA et c’est sans doute légitime dans certains cas, nous connaissons tous et toutes ces répondeurs automatiques qui, sous prétexte d’optimisation, nous guident parmi les services de notre banque ou de notre assurance pour nous mettre, in fine, devant un abime d’incompréhension : ma question n’est pas dans la liste. Mais ici, nous sommes dans un cabinet médical et en continuant sur cette voie, le radiologue disparaitra avant sa secrétaire parce qu’elle est humaine et a un vrai contact avec le.la patiente. Hier thérapeute (qui signifie « prendre soin »), le radiologue que j’ai rencontré (et qui a voulu son cabinet tel qu’il est) remet désormais toute son expertise dans les mains de la machine, si le scanner ne donne pas la réponse, il prescrira un IRM et si l’IRM n’en donne encore pas, il trouvera une autre machine. Le pire dans tout cela c’est que, pour ce professionnel de santé, rien n’est anormal puisqu’il faut « vivre avec son temps » mais « ce n’est pas un signe de bonne santé mentale que d’être bien adapté à une société malade » comme le dit Krishnamurti.

Les machines nous rendent quotidiennement de grands services mais je ne crois pas que mettre des bornes automatiques en relayant l’humain à l’arrière-plan (comme chez McDo ou dans ce cabinet) soit un moyen de créer du lien et c’est le lien qui fait de nous des êtres humains. Alors, à force de mettre des machines jusque dans les cabinets médicaux au motif d’être plus efficaces, on en perd l’essentiel de cette fameuse « efficacité » : la relation humaine, le lien, la rencontre et on contribue à fabriquer la maladie du siècle : la dépression basée sur la solitude et l’incompréhension perdant ainsi toute « efficacité » des individus. Même du point de vu de ce système, à terme, il est inefficace.

En sortant de ce cabinet, j’étais pris d’hésitation : la colère ou les larmes … démuni, j’ai fini par rire. Mais rien n’est drôle dans cette expérience : comment un établissement médical peut-il penser une seule seconde que ce modèle - peut être efficace économiquement - puisse être sain et « défende la santé mentale » (première phrase du serment d’Hippocrate (version de 2012)) ? La deuxième phrase du même serment est celle-ci : « Je respecterai toutes les personnes, leur autonomie et leur volonté, sans aucune discrimination selon leur état ou leurs convictions. ….» … elle parle de « personnes », d’êtres humains. Quand la médecine se sera totalement cachée derrière des machines, ses patient.es seront sans doute eux.elles aussi devenu.es des machines.

Dieu soit loué, dans mon village, il y des médecins humains et aucun écran ne les cache. Je suis certain que, dans leur cabinet, parfois, un simple sourire, une simple écoute guéri 1000 maux, merci à eux.elles de préserver leur humanité.

# Déshypnotisons-nous

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