Et si ... Alzheimer ...

Parmi les maladies les plus redoutées, Alzheimer renvoie chacun.e de nous à des images de déchéance psychologique et physique que nous voudrions éviter. Bien que la recherche batte son plein et avance à petits pas, la science est loin d’un traitement contre ce mal qui fait peur aux malades et à leurs proches.

Avertissement : je ne suis pas médecin, encore moins neurologue, les propos de cet article sont uniquement le fruit de mon expérience et de quelques connaissances. Il s’agit d’hypothèses que je continue de valider au gré de mes rencontres. (1)

Alzheimer fait peur. Quand quelqu’un est touché, sa vie s’en voit impactée mais aussi et pas qu’un peu, celle de ses proches. Outre les souvenirs qui s’effacent progressivement, c’est avec eux le lien social, la vie familiale et tout ce qui nous relie à nos racines qui disparait sous nos yeux sans que nous ne puissions rien faire pour les empêcher de partir. Dans mon expérience personnelle, alors que je me sentais débordé par la maladie de ma mère, une personne de France Alzheimer me prévenait : « Avec Alzheimer, c’est nous qui nous sentons malades et nous en avons honte ». En effet, nous nous sentons désarmés devant les liens familiaux qui disparaissent, c’est notre identité personnelle qui semble avalée par l’évaporation des souvenirs de l’autre : « bonjour Monsieur, qui êtes-vous ? » vous demandera votre mère.

Sortons du domaine de cette maladie pour observer le cerveau dans des circonstances “normales”. Nous savons depuis longtemps que ce magnifique outil, pour nous protéger, aller vite et consommer moins d’énergie, a mis en place des stratégies d’optimisation. Qu’il s’agisse des « biais cognitifs » qui permettent d’aller plus vite mais au prix « d’erreurs de jugements », de ce que l’on appelle les « système 1 et 2 » qui sont deux « routes » de réflexion plus ou moins rapides et fiables nous permettant d’abord de réagir vite puis de mieux apprécier la situation, dans tous les cas, le cerveau s’auto-régule pour nous permettre de mieux appréhender notre environnement et ses dangers. Ainsi, historiquement, le cerveau reptilien, siège de nos peurs ancestrales agit comme un système d’alarme nourri depuis des millénaires par des générations d’apprentissage du danger.

Au titre des techniques développées pour aller plus vite et être plus efficace, il y a la « généralisation ». Quand notre cerveau constate qu’une situation nous met en danger, il analyse les conditions de cette situation et les enregistre. Si un danger similaire se présente à nouveau, il va refaire la même opération et comparer. Au fur et à mesure, il va pouvoir considérer que telles et telles circonstances sont d’ordre à créer du danger et nous mettre en alerte même si il ne passe rien (mieux vaut prévenir que guérir). Illustration : imaginez un homme préhistorique se promenant dans la savane en quête de nourriture. Ils sont en groupe de quelques-uns. Le premier, passant à côté d’un baobab, se fait surprendre par un lion qui saute sur lui et le dévore. Les survivants apprennent entre autres et par exemple : que le lion est dangereux, que le baobab cache des lions et qu’être le premier dans la colonne n’est pas forcément une bonne idée. Quelques jours plus tard, passant à côté d’un palmier, rien ne se passe, puis, plus tard, encore à côté d’un baobab, un léopard fait le même coup et croque le premier de la bande. Apprentissage et généralisation : le baobab cache la mort. C’est un peu schématique mais nous faisons quotidiennement ce genre de généralisations qui n’ont qu’un seul but : nous protéger.

Le « lien logique » est l’une de ses généralisations qui nous empêchent d’avoir du discernement. Il s’agit de liens que nous faisons sans qu’il y ait de réels rapports entre deux faits en les reliant par un « donc » erroné mais qui permet d’aller vite et de nous prémunir. Mon père travaille trop, mon père est sévère avec moi, donc le travail rend sévère. Il n’y a aucun rapport entre les deux mais mon apprentissage personnel additionné au fait que j’aime mon père et que je dois justifier sa sévérité sans l’impliquer lui ni son amour et le mien, fait que j’accuse le travail de me mettre en danger. C’est plus simple et me permet de préserver tout le système émotionnel dans lequel je vie.

Revenons à Alzheimer. Imaginons maintenant une personne qui est témoin direct d’une scène qu’il.elle vie comme insoutenable et qu’elle ne veut pas partager (le « et » dans cette phrase est important) car ce qu’elle a vécu vient impacter son intimité, ses valeurs, ses émotions les plus profondes : la mort d’un enfant, l’inceste par son.sa conjoint.e, la tromperie dans le couple, etc. Bien sûr, il ne suffit pas de le vivre puisque de nombreuses personnes l’ont fait sans avoir de séquelles psychologiques importantes, il faut que l’événement soit – pour cette personne – intolérable, émotionnellement ingérable et qu’il.elle ne puisse ou ne veuille absolument pas en parler. L’événement est alors tellement insupportable, casse tellement les fondements de qui il.elle est qu’il.elle ne peut le partager et veuille le cacher volontairement à son entourage et même à elle-même. C’est ainsi par exemple que se fabriquent les secrets de familles : nous imaginons qu’il est impossible d’en parler au risque de détruire la structure familiale dans son entier ce qui serait insupportable (et nous mettrait nous-même en danger).

Donc, cette personne qui a vécu cette scène insupportable ne veut et ne peut en parler, elle voudrait même l’oublier si cela lui était possible et tout ses efforts vont aller dans ce sens : oublier pour ne pas se mettre en danger ou mettre en danger ce qui fait sa stabilité en tant qu’individu : sa famille, ses racines, son cadre émotionnel stable. Avec l’âge, l’affaiblissement du corps, du cerveau et des fonctions cognitives, les résistances se font moins fortes et c’est là que le processus de généralisation trouve sa place. Tout se passerait comme si, le cerveau, après des années d’injonctions à oublier l’événement initial, obtempérerait. Mais comme il ne peut choisir d’oublier quoi que ce soit spécifiquement (on ne peut pas oublier volontairement puisqu’en pensant « je veux oublier cet homme » par exemple, on est déjà en train d’y penser), il choisit de tout effacer en généralisant la fonction oubli.

C’est là précisément que réside mon hypothèse. Bien entendu, la maladie d’Alzheimer est multi factorielle : l’âge, la condition sociale (qui participe à fonder nos valeurs et nos croyances), notre nourriture, notre travail, les relations que nous entretenons avec notre entourage, le terrain familial, les stress auxquels nous avons fait face etc. influent sur notre cerveau et sa capacité à gérer les situations. Cependant, selon moi, le facteur déclenchant pourrait être un événement vécu et non partagé, un secret insupportable et indicible.

Faisons l’exercice de penser que cette hypothèse puisse être exacte, il suffirait alors, pour se prémunir d’Alzheimer de … parler et de parler précisément de ce qui ne pouvait jusqu’alors être dit : de cet événement insuportable. Il ne s’agit évidemment pas de forcer l’autre ce qui serait vraisemblablement contre-productif mais, avec bienveillance, sans jugement, de l’inviter à se raconter même et surtout si ce qu’il.elle va raconter parle de nous-même car nous aussi, nous devons être prêts à l’entendre. N’oublions surtout pas que les secrets ont une raison d’être, il s’agit de protéger (à tort ou à raison). Dans une société où vraiment parler les un.es avec les autres, des vraies choses qui nous préoccupent - et pas seulement par sms - est devenu une denrée de plus en plus rare, où la morale nous interdisait souvent d’évoquer tel ou tel sujet, il ne serait pas étonnant que de telles maladies se développent. Écoutons ce que les autres ont à nous dire de ce qu’ils.elles sont vraiment, invitons-les à nous le dire en étant prêt.es nous-même à l’entendre vraiment.

# Déshypnotisons-nous

(1) J’ai mis des années à oser écrire cet article car, pensais-je, qui suis-je pour émettre une telle hypothèse ? Je n’ai que quelques années d’expérience en tant que thérapeute et n’ai que quelques cas d’Alzheimer autour de moi (mais tous s’inscrivent dans le schéma que je décris dans ces lignes). J’ai bien peu de légitimité pour me positionner ainsi. Mais, qu’est-ce que la légitimité ? Qui la décide et sur quels critères ? Comment vient-elle brider nos idées et notre droit de les exprimer ? Cela fera peut-être l’objet d’un autre article mais d’ores et déjà, « légitime » signifie « établi par la loi ». De quelle loi parle-t-on ? Celle qui vient de l’extérieur ou celle, plus forte encore, qui vient de nos propres peurs notamment d’être jugé.es ? …

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