Les racines

Maintenant que je vie à la campagne, j’observe la vie qui avance. J’apprends beaucoup de choses, parfois très simples. Et parfois, je n’apprends pas, car je savais déjà, mais je prends conscience. Pour moi, la « prise de conscience » est bien au-delà de la connaissance, elle se loge dans un instant, dans quelques secondes où le savoir rejoint l’expérience et se réunissent dans l’émotion. Le moment où le savoir devient évidence.

C’est ainsi que j’ai pris conscience qu’aucune plante de pousse sans racines. Même si vous plantez dans une bonne terre une branche de peuplier, d’aulne ou d’osier, elle commencera par faire des racines pour ensuite, pousser vers le haut. La racine c’est notre histoire, elle ne peut être dissociée de nous.

Je reçois de nombreux woofers. L’un d’eux était allemand, il venait de l’ex-Allemagne de l’est dans la banlieue de Berlin. L’une des premières choses qu’il m’ait dites était qu’il détestait les allemands. Il avait une trentaine d’années, de beaux projets plein la tête, de nombreuses envies, mais au fond il était triste. Au bout de quelques jours, le manque de sa famille et de son pays sont revenus frappés à sa porte, il est tombé malade et a décidé de rentrer en Allemagne beaucoup plus tôt que prévu. Son aversion pour les siens l’avait tout d’abord poussé à fuir mais ses racines l’ont rattrapé.

Il y a toujours un moment où nos racines nous rappellent, elles sont notre ancrage, notre socle, même si, orphelin, nous avons dû les créer comme le fait la branche de l’aulne. Et on ne peut pas indéfiniment renier ses racines sans se couper de ce qu’elles nous apportent, fut-ce de mauvais souvenirs. Elles se rappellent à nous en nous tordant, en nous poussant par exemple à avoir des comportements qui nous font du mal mais dont nous n’arrivons pas à nous débarrasser. L’inceste à ce titre en est un dramatique mais bon exemple.

Souvent, mes client.es veulent oublier un bout de leur passé, un trauma, une période difficile. Mais tout ceci fait aussi partie de nos racines et rien ne peut le faire disparaître de notre mémoire. En revanche, ce que nous pouvons faire – et l’hypnose peur y contribuer – c’est changer l’histoire que nous nous racontons à propos de ce passé, nous mettre en paix avec lui. L’une de mes clientes avaient été frappée par sa maîtresse à l’école, violée par son oncle durant sa petite adolescence et battue par son mari pendant une dizaine d’années. Elle avait une force incroyable et c’est cette force qui l’avait fait tenir sous les coups, en même temps sans doute qu’elle avait contribué à les provoquer en ne s’effondrant pas comme l’aurait voulu son mari. Doit-elle se couper de ce passé, le regarder comme une suite d’événements tragiques ou se concentrer sur la force qu’elle en a tirée et s’appuyer dessus pour créer un chemin désormais différent ? Même les racines pourries nous apportent de la vie. Nous avons travaillé des semaines ensemble, arpentant les rues de Paris pour reconstruire chacun de ses regards, pour qu’elle apprenne à voir le beau là où elle n’avait appris à ne voir que les coups, à montrer un autre visage au monde et à voir le monde différemment. Je crois qu’elle a réussi.

Jung parle de « l’ombre », cette partie de nous que nous n’explorons plus pour l’oublier ou parce qu’elle nous fait peur. Il n’est nul besoin d’avoir eu une enfance dramatique pour avoir une part d’ombre. Nos petites lâchetés du quotidien en font partie. N’ayons pas peur d’aller y jeter un œil, car, comme le dit le psychologue Moussa Nabati : « La blessure, c’est l’endroit par lequel la lumière pénètre en nous ». Ce que je crois, c’est que c’est précisément dans notre ombre que se trouve la source de nos plus belles qualités même celles que nous ne connaissons pas encore.

Les secrets de famille

Dans nombre de familles, il existe des secrets, la mienne n’y fait pas exception et j’ai appris il y a seulement quelques années que nous avions des origines « pieds noirs ». Pour moi c’était une information neutre, mais visiblement, pour une partie de mes aïeux, il fallait la cacher. Les secrets portent et pérennisent l’ombre, ils la solidifient et lui donnent de la force. Explorons-les ! Privons-les de leur force.

J’ai reçu un jour une mère et son enfant. Elle le trouvait constamment inquiet. A l’issue de la séance, je demandais à la mère qui avait 2 enfants, si entre les deux il n’y avait pas eu une grossesse. Elle me répondait que si, qu’elle avait perdu l’enfant et qu’elle l’avait extrêmement mal vécu. Je lui ai alors simplement demandé de le dire à ses deux garçons. Bien sûr, ce fut un moment difficile pour elle, elle gardait ce secret depuis de nombreuses années. Mais elle l’a dit, s’en est trouvée extrêmement soulagée (elle avait lâché un gros poids) et les inquiétudes de son fils disparurent. Pourquoi ? Parce qu’il sentait la peur de sa mère et portait des peurs qui ne lui appartenaient pas. En livrant son secret, elle lui a ôté toute sa puissance.

Comment un arbre pourrait-il pousser sainement si l’une de ses racines, lui racontait être d’une autre espèce, lui mentait. Comme un arbre pourrait-il se déployer pleinement si il ignorait une partie de ses racines ? Nos racines sont là, quelles qu’elles soient nous ne pouvons pas les éviter indéfiniment : « tout ce à quoi je résiste persiste ».

J’ai énormément cherché à connaître et comprendre ma vie personnelle, mon histoire, mes souvenirs, mes oublis et j’ai même cherché à comprendre pourquoi j’avais oublié. Certes, parfois ce furent des moments compliqués à traverser mais à la fin, sortis de mon ombre, le soulagement, la paix et au moins, les yeux moins aveuglés par l’ignorance ou le déni.

Comment pousser, grandir, se projeter vers un avenir désirable si nous n’acceptons pas nos racines ? Faut-il encore les connaître, les explorer, y aller. Le “connais-toi toi même” ne dit pas autre chose. Se connaître, c’est nécessairement plonger dans nos racines, proches ou lointaines, se demander comment elles nous fabriquent et quelle sève elles nous envoient pour notre bien ou pas. C’est à nous, dans le présent, de choisir ce que nous acceptons de recevoir pour notre propre construction et pour faire ce choix, il me semble utile de savoir dans quels sols plongent nos racines pour y puiser les nutriments qui contribuent à nous fabriquer chaque jour, souvent à notre insu. Ce choix que nous avons la possibilité de faire consiste non pas à couper une racine mais à voir ce qu’elle nous envoie pour lui donner une autre valeur.

Pour continuer avec le symbole de l’arbre, les spécialistes vous diront que c’est en regardant les feuilles que l’on sait dans quel état sont les racines de même que la partie visible de l’arbre est comparable à sa partie souterraine. Je crois que l’humain est similaire. N’oublions pas nos racines, revisitons-les, nettoyons ce qui peut l’être, osons sortir les secrets, rendons-les fortes et saines. Il est probable que malgré nos peurs elles nous en remercient et il est certain que nos feuilles seront plus belles et plus fortes pour aller capter la lumière et construire notre propre avenir.

# Déshypnotisons-nous

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