L'attente
L’attente, cette petite chose parfaitement anodine qui, pour la plupart d’entre nous, fait partie de chaque jour de notre vie sans qu’on y prête la moindre attention. Elle prend de multiples formes : souvent un résultat. Suivant notre humeur on l’imagine bon ou mauvais. Parfois juste un état correspondant, là encore, à ce qu’on imagine.
L’attente nous projette toujours dans le futur ou dans un présent arrangé. De notre amoureux.euse, nous attendons qu’il.elle soit comme ceci ou comme cela, de ce plat qu’il ait tel goût, de ce film qu’il raconte telle histoire, de cette cigarette qu’elle nous fasse tel effet, de ce voyage, qu’il corresponde à… nos attentes … mais aussi : que vont ils.elles penser de moi si je fais ou dit ceci ou cela ?
L’attente nous dit ce que nous souhaitons du futur : qu’il raconte une histoire identique ou presque à celle que nous espérons.
L’attente c’est notre expérience du passé qui se poursuit dans le futur, c’est le trait d’union entre hier et demain.
Laurent Bertin (qui a contribué à inspirer ce billet) dans son article nous dit que les émotions sont égales à la réalité moins les attentes (émotion = réalité - attente). Informaticien de formation, il les met dans une formule mathématique qui a le mérite de la clarté !
Quand nous avons une émotion c’est seulement que, nous étant projetés (grâce aux attentes) dans le futur, nous sommes confronté.es à la réalité qui est le plus souvent différente de ce qui était prévu et crée joie ou déception. L’amour que j’imaginais éternel finit en eau de boudin, cette soirée à laquelle je ne voulais pas aller s’avère parfaite, cette personne que j’imaginais sans intérêt est en fait passionnante.
Les attentes nous servent à rester dans notre zone de confort, à voir le futur comme quelque-chose de rassurant voire de contrôlé, elles nous trompent la plupart du temps pour nous éviter la déception. Et c’est précisément le fait que j’attende quelque chose qui fait que je suis déçu.e ou pas.
J’entends ceux.celles qui m’objecteraient qu’ils.elles attendent d’être surpris.es, mais, ceci reste une attente non ? C’est simplement que la surprise correspond à leur système, de même pour ceux.celles qui s’attendent toujours à être déçu.es ou ravi.es… c’est là leur zone de confort.
L’attente nous enferme dans un modèle et ce, quelle qu’elle soit.
Quand la boite de Pandore fut ouverte malgré les injonctions des dieux, seule y restât enfermé l’espoir. Attente suprême. Pandore et son mari allait vivre suspendu à l’attente délégant leur bonheur à un objet extérieur.
Car l’attente est bien extérieure ! C’est l’autre, c’est l’imaginaire, c’est la tête du restaurant, les notes sur TripAdvisor et le regard du.de la bien aimé.e, l’attente c’est mettre entre les mains d’un.e autre (ou d’autre chose) que moi les clés de mon bonheur, c’est la “bonne note” du.de la maître.sse, du parent ou du.de la patron.ne, le regard de mon.ma compagne, c’est le passé qui reconnait et félicite le futur. Mais qu’est ce qui est le plus important ? La note ou la satisfaction personnelle du travail juste ?
L’attente nous prive du regard neuf, du plaisir de la (re)découverte, elle nous indique où et comment regarder pour voir ce qu’elle a programmé (et non ce qui est), elle jette un voile déformant sur le présent.
Si nous voulons être heureux.ses, il me semble qu’il ne faut rien attendre de rien ni de personne. Entendons-nous bien, ne rien attendre ne signifie pas que les autres ne peuvent rien nous apporter, cela veut dire que nous ne devons rien faire ou dire en attendant un retour quel qu’il soit. Soyons simplement le plus nous-même possible, intègres (tant au sens “honnêtes” qu’à celui d’entier.ère). Quand le pommier vous donne un fruit, il n’attend rien, pas même de la reconnaissance, soyons aussi naturel.les que ce pommier.
J’ai conscience de la difficulté de l’exercice pour l’expérimenter moi-même, cependant je suis convaincu qu’en repérant nos attentes, en comprenant qu’elles sont le produit de notre mental pour nous construire un monde rassurant, conforme à celui que nous nous imaginons, et en les éliminant une à une, nous trouverons dans l’instant non anticipé, le bonheur auquel nous aspirons tous.tes.
Je ne le dirai jamais assez, ayons le courage de voir, d’évaluer et éventuellement de sortir de nos conditionnements et automatismes dont les attentes sont l’une des armes.