hypnose collective : quand les mots construisent des mondes

Vous le savez, je suis très sensible au vocabulaire et à ses conséquences sur nos psychés individuelles et collectives. Les mots ont un sens et ils contribuent largement à construire notre façon de penser et donc d’agir.

Il n’y a rien que nous ne disions ou fassions sans que cela ne soit précédé par une pensée et cette pensée nous fait parler ou agir d’une manière spécifique. Prenons quelques exemples : quelle est la différence entre « je fume » et « je suis fumeur.euse » ? Dans un cas vous décrivez une action (éventuellement répétitive) dans l’autre vous vous définissez. Si vous vous définissez comme fumeur, vous vous compliquez encore plus l’arrêt du tabac et vous arrêterez sans doute avec un peu plus de difficultés. Commencez donc par dire « je fume » vous habituerez votre cerveau à voir le tabac comme une action et non plus comme faisant partie de votre personnalité (on se débarrasse nettement plus facilement d’un comportement que de sa personnalité n’est-ce pas ?).
Lorsque nous imaginons que nous faisons quelque chose, notre cerveau a une activité à 90% égale à celle qu’il aurait si nous faisions vraiment cette chose. C’est ainsi qu’un.e violoniste qui s’entraîne en « air violon » aura quasiment la même activité cérébrale que si il.elle jouait vraiment ; il en est de même du.de la skieur.euse qui, comme dans une danse s’imagine descendre la piste en reproduisant chaque tournant et chaque bosse. Qu’en est-il quand vous dîtes « j’ai une montagne de travail » ? Durant une micro seconde, vous avez imaginé une montagne (pas nécessairement celle des Alpes). Tentez de séparer votre travail en plusieurs petites tâches et vous n’imaginerez plus que des collines, bien plus évidentes à grimper.

En d’autres termes, à chaque fois que nous répétons quelque chose, qu’il s’agisse d’un mot ou d’un geste, nous façonnons lentement notre mental pour qu’il créé des automatismes et consomme le moins d’énergie possible (le cerveau en utilise 20%), c’est entre autres sur ce constat que repose la “pensée positive”. Il s’habitue, accepte et ne remet plus en questions.
Il en est de même du vocabulaire politique comme par exemple les « plans sociaux » devenus des « plans de sauvegarde de l’emploi ». Est-il réellement nécessaire de détailler la différence de perception engendrée dans la psyché collective de même qu’à force de répétition ce que cela produit sur notre rapport au travail ?

« Gagner sa vie »

J’avais envie de m’attarder aujourd’hui sur cette simple petite expression qui, à ma connaissance, n’a pas évoluée depuis des décennies, peut-être des siècles. Elle n’a l’air de rien et nous l’entendons tous dès notre adolescence : « tu veux faire quoi pour gagner ta vie plus tard ? » et chaque jour de notre vie, nous l’entendrons encore : comment tu gagnes ta vie ? Il.elle gagne bien sa vie ! Elle berce notre esprit et contribue à le modeler et pose en réalité la question de savoir comment je vais gagner de l’argent qui lui-même me permettra de vivre. En supprimant un bout de phrase, on créé un lien direct entre 2 mots qui pourtant n’ont originellement pas de liens directs entre eux (c’est le genre de structure que l’on repère grâce à la PNL (1))

Je vous invite simplement à vous poser la question : que dit-elle ? Que suggère-t-elle sans que nous n’y prêtions plus aucune attention ? Non qu’il faille gagner notre « place » dans la société (sinon, nous dirions « comment gagnes-tu ta place ») mais bien notre vie, rien que ça ! Mais alors, que se passerait-il si je ne gagnais pas ma vie ? Aurait-elle moins de valeur que celle d’un.e autre ? Serait-elle moins importante et, posons clairement la question : aurais-je moins le droit de vivre ? Pour être honnête, je me demande à quel point cette simple petite phrase a façonné et façonne encore notre inconscient collectif, comment elle place la vie comme subordonnée au travail et aux revenus que nous en tirons, comment la vie devient secondaire par rapport au système économique ? Cette phrase est tellement ancrée qu’il en devient difficile d’imaginer le monde si elle n’était pas là, quelle serait son impact si elle était plutôt et par exemple « gagner sa place », « gagner de l’argent » ou « comment contribues-tu à la société ? ». « Gagner sa vie » suggère que, chaque jour notre vie ne nous est pas acquise puisqu’il faut la gagner. Quant à moi, croyez-moi, si j’ai « gagné » un jour ma vie, c’est en naissant et encore, si j’excepte les croyances de chacun, je n’ai rien gagné du tout, c’est simplement advenu.

Si je m’attarde sur cette expression c’est parce que je la trouve symptomatique d’un fait de société : l’hypnose collective. Nous, collectivement, sommes particulièrement sollicités par les informations en tous genres au point qu’un mot a été créé : l’infobésité. Ce flux continue nous oblige à faire un tri que nous sommes de moins en moins capables de faire tellement il est toujours possible de contredire ce que je viens d’entendre d’une source « sûre » par une autre source « sûre ». Dès lors, je crois primordial de prêter une attention accrue aux mots, à ce qu’ils signifient et suggèrent, à interroger les mots valises (« qu’est ce que tu entends par là ? »), à préciser les mots à la mode (ex. : empathie) dont on finit souvent par perdre la signification tant ils sont repris sur facebook comme des leitmotiv, en un mot, à écouter du mieux possible ce que nous entendons et disons.

Chacun bien sûr voit les choses comme il l’entend et vie son métier du mieux qu’il le peut, j’interroge juste cette petite phrase anodine (« gagner sa vie ») et ses conséquences. Et vous, comment voulez-vous « gagner votre vie » ?

# Déshypnotisons-nous

(1) La PNL (Programmation Neuro Linguistique) est une technique de thérapie brève qui vise à analyser les pensées d’une personne en fonction des mots et structures de phrases qu’elle emploie pour traduire ces pensées. Cette analyse permet de détecter certaines difficultés et de les désamorcer.

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