Gérer ses émotions ???

La « toile » foisonne de bons conseils pour apprendre à « gérer ses émotions », de nombreux sites y vont de leurs recettes pour que « Lorsqu’une émotion nous envahit, il vaudrait mieux la garder à distance pour ne pas la renforcer » … personnellement, je crois rêver !

Entre autres modes liées au « bien-être » (auquel je finirai par consacrer un article), il y a l’injonction d’accepter nos émotions. C’est bien beau mais, à l’instar du « lâcher prise », ça veut dire quoi ?

Émotions : De quoi parlons-nous ?

Il faudrait déjà savoir de quoi nous parlons vous ne croyez pas, or, comme souvent (toujours ?) en matière de psychologie, définir les concepts s’avère particulièrement compliqué. En effet, dans ce domaine, rien n’est partagé. Si vous regardez un arbre, selon votre métier ou votre sensibilité vous n’en donnerez pas la même définition mais vous décrirez tous.tes le même objet globalement constitué d’un tronc, de branches et de feuilles. Pourquoi, parce que nous en faisons tous.tes la même expérience sensorielle notamment visuelle. Mais, suivant qui vous êtes, vous verrez dans un arbre un bon moyen de faire une sieste à l’ombre, un bon moyen de se chauffer, un tas potentiel de papiers à imprimer ou une source inépuisable de biodiversité. Il en va de même des émotions : étymologiquement, elles « mettent en mouvement » et, poussées à leur paroxysme elles génèrent des cris, des pleures ou des rires mais avant d’en arriver là, elles commencent par être moins reconnaissables qu’on les vive ou plus encore qu’on en soit les spectateurs : la gorge serrée annonce-t-elle de la tristesse ou de la colère, les mains moites promettent-elles de la violence ou une défaillance ? Bien malin qui peut le dire d’autant que, là encore, tout dépend de qui vous êtes.

En matière d’émotion et plus généralement de psychologie, ce dont nous faisons l’expérience interne est strictement personnel. Quand je ressens de la tristesse, comment savoir si je ressens la même chose que vous ? Comment comparer les intensités, comment trouver les déclencheurs communs ? Rien de moins simple. Ceci étant posé, restreignons-nous aux émotions dîtes universelles.

C’est quoi une émotion ?

L’émotion est une force (le mot vient de mouvement), une force ancestrale, elle est capable de nous faire rire ou pleurer à distance, de terrasser un interlocuteur sans le toucher, de transcender n’importe qui et vous voudriez la gérer ? L’émotion peut nous sauver la vie (la peur), nous permet de faire venir à nous une aide (la tristesse), créé des groupes (la joie), l’émotion est un moteur puissant de la vie et contrairement à ce que j’ai pu lire : « apprendre à gérer ses émotions sans nier son ressenti, c’est avant tout décider d’avoir le contrôle de sa vie. », euh … non ! L’émotion c’est la vie qui s’exprime, la contrôler, c’est se transformer lentement en intelligence artificielle.

La plupart des articles que j’ai lu, semblent s’adresser à une infime minorité qui passe de la colère aux larmes dans un claquement de doigts ou déchaine des torrents de violence pour une broutille. Restons zen, bien que les cas exceptionnelles envahissent les media et semblent devenir la norme, il n’en est rien. En revanche, le.la lecteur.trice « normale » peut prendre ses conseils pour lui.elle et je crois sincèrement que ce serait une erreur.

Émotion : apprendre à la reconnaître

Dans ces mêmes articles, on propose d’apprendre à reconnaitre ses émotions. Bonne idée ! Mais là où la bat blesse, c’est qu’on nous dit de faire ce travail au moment où elles sont déjà sorties de leurs gonds ! « Les signes les plus couramment observés en fonction des différentes émotions ressenties sont : la gorge nouée, les mains moites, des tremblements, des pleurs, des suées, les dents ou les poings qui se serrent… » … quand les poings se serrent où qu’on est en sueur de rage … comment vous dire … c’est probablement qu’on a raté quelques trucs.

Pourquoi nous mettons-nous en colère ? Parce-que là, quelqu’un a dépassé les bornes (demandez à n’importe quel parent, la colère ne vient pas de nulle part). Et pourquoi ce quelqu’un a dépassé les bornes ? Parce que nous n’avons pas su les lui montrer clairement, que nous n’avons pas su lui dire qu’il allait les dépasser. « Gérer une émotion », c’est annoncer qu’elle va arriver si on continue, avant la colère, il y a moyen de dire (tout à fait calmement) que ça va chauffer (mais quand les poings sont serrés, c’est peut-être un peu tard). Pour pouvoir dire les choses calmement, je ne crois pas qu’il faille se « contrôler » ou « maitriser », il faut simplement se connaitre, connaitre ses limites, ses valeurs et savoir les exprimer avant que l’émotion vienne nous faire perdre nos moyens.

Toutes les émotions ?

Toujours dans ces articles, on met sur le même plan la colère, la joie, la tristesse et les autres. Nous connaissons les conséquences potentiellement néfastes de la colère, mais qu’en est-il de la joie ou de la tristesse, une crise de larme est-elle un problème ? Une joie hystérique est-elle grave ? Peut-être mais a priori, ce sera moins funeste non ? Alors, devons-nous appliquer les mêmes recettes ? Quand je regarde un film qui me fait pleurer, aurais-je du « gérer » ? Qu’est ce qui me gêne (éventuellement) alors : de pleurer ou que l’on me voit pleurer ? L’émotion qui vient s’ajouter à mes larmes est-ce la honte (et le jugement que j’ai sur moi-même et mes prétendues qualités masculine) ou le plaisir d’être vivant, de réagir à une scène touchante ? Sérieusement, où est le problème ? Les larmes ou le regard que je porte sur moi – ou croit qu’on porte sur moi ? Là encore, reconnaitre une émotion c’est savoir d’où elle vient. Et pour cela, une technique assez simple est appelée « l’homme de paille » : imaginez, lorsque vous pleurez par exemple, que l’autre « vous » qui est triste est assis en face de vous, regardez-le et demandez-lui avec douceur pourquoi il est triste (exactement comme on le ferait avec un enfant) et attendez sa réponse, une fois que vous l’avez, vous pouvez la juger et vous moquer bien-sûr mais vous pouvez aussi l’accueillir et la considérer, vous pouvez surtout continuer d’en parler avec « lui », lui expliquer, lui poser d’autres questions, etc. (je ferai peut-être un jour un article plus complet sur cette technique parfois très utile).

Que dit l’émotion ?

Plus encore que ce qu’elle dit, nous serions bien inspiré.es de chercher à savoir d’où elle vient. Comment cette situation que vous vivez produit une émotion ? Car la question selon moi n’est pas de savoir « gérer » à tout prix mais bien de savoir pourquoi une situation qui devrait objectivement être neutre ou faiblement émotionnelle, produit chez vous de fortes réactions. C’est là qu’il est utile de s’interroger et si quelque-chose doit être « gérer » c’est ce qui vous a appris à sur réagir dans certaines situations. L’émotion, comme le reste, est un apprentissage. Tout au long de notre vie, nous avons « appris » à réagir de telle ou telle manière dans telle ou telle circonstance : pourquoi certain.es d’entre nous pleurent à un enterrement et pas les autres ? Parce qu’un jour, nous avons appris qu’il valait mieux ou ne valait pas mieux, parce qu’on s’est fait moquer, parce qu’on s’est fait punir, que sais-je, mais les émotions s’apprennent.

Émotions : apprendre à les exprimer

De même que les émotions s’apprennent, les exprimer aussi, mais il ne s’agit pas de les “gérer” en se demandant si elles sont légitimes ou pas, car à mon sens, plus on les gère, plus on les retient, plus elles s’accumulent et explosent quand nous n’y tenons plus. Alors, le plus simple, c’est de s’habituer à les exprimer avant, bien avant qu’elles ne prennent trop de place, si quelque-chose doit être gérer, ce ne sont certainement pas les émotions, mais la parole. Dire ce qui nous traverse, dès que cela nous traverse, au moment où nous pouvons le faire avec calme et mesure. Une émotion vous traverse ? Exprimez-là !

Depuis toujours, à l’instar du jardin d’Éden, l’Homme tente de s’extraire de la nature. Son objectif est de la maîtriser, de ne plus subir ses aléas. Encore aujourd’hui, nombre de postures écologiques le pose comme le protecteur de la nature, comme s’il l’avait dominé et que dorénavant il devrait la sauver. Mais nous sommes la nature, ni plus ni moins que n’importe quel organisme, en essayant de nous en sortir, je crois sincèrement que nous nous affaiblissons lentement, à chaque pas que nous faisons pour tenter de « gérer » notre côté naturel, nous nous rendons de plus en plus faibles face à la nature. En continuant sur ce chemin, le risque est, qu’in fine, nous devenions des sortes d’intelligences artificielles dénuées de sentiments.

# Déshypnotisons-nous

← Article précédant

Chroniques du changement - épisode 1