Rencontre avec mon mental

Il fait la une des journaux, on le nomme partout, particulièrement ici, on le vilipende quand on en parle chez les psys, on l’adule chez les physiciens et les sportifs, il est le fruit mûr de toute une époque, il est glorifié par une société dont l’existence même scelle son triomphe et pourtant, telle une légende tenace, personne ne l’a jamais vu. Le “mental” existe-t-il vraiment ?

Quand j’écris cet article, je suis au Pérou, dans la forêt amazonienne, non pas à la recherche du mental mais à celle de son exact opposé : un peu, dans ce monde d’objets, de ce que l’on appelle “spiritualité”. Je lis “la panthère des neiges” de Philippe Tesson, peut-être un signe que je suis, moi aussi, sur la piste d’un animal omniprésent et pourtant jamais photographié. Il brille par son absence, comme la panthère de Tesson : “il règne et n’a donc pas besoin de se montrer”.

Pour tout dire, si je suis ici, ça n’est pas pour en dresser le portrait, je le connais trop bien. Ma volonté est plutôt de le faire descendre de son piédestal ou à tout le moins qu’il partage le pouvoir avec quelques-uns de ses petits camarades de jeu qui sont hébergés en moi (cf. L’IFS dont j’ai déjà parlé ici).

Ce monsieur, depuis une cinquantaine d’années a pris ses aises et règne en maître incontesté sur “ce qu’il croit être moi”. Depuis quelques temps cependant, lassé des comportements qu’il me fait avoir à contrecœur, j’ai décidé de prendre le taureau par les cornes et d’en reprendre un semblant de contrôle.

Le cerveau d’un HPI est un peu comme un zèbre

Le bougre est coriace, il paraît que le cerveau d’un HPI est un peu comme un zèbre(1), on ne l’attrape pas avec du vinaigre. J’ai donc depuis des années “travaillé sur moi” comme on dit. J’ai exploré de nombreuses terres empruntant de non moins nombreux véhicules ! Des classiques psychologues évidemment, des hypnos bien sûr, des chamans français et surtout sud-américains, des énergéticiens, kinésiologues, respirants holotropiques, huttants de sudation, et même quelques sorciers encore plus exotiques ! J’avançais mais à trop petits pas pour moi et dans de trop nombreuses directions au gré de ce que m’expliquait chacun de ces spécialistes. Et surtout mon propre vacarme intérieur m’empêchait d’entendre ce qui avançait à bas bruit, tapis dans la lumière mais à contre-jour.

Me croyant une cause désespérée mais toujours déterminé à avoir sa peau, je décidai de prendre les grands moyens. Ce serait le Pérou, une route que je m’étais juré de ne plus jamais emprunter : trop raide !

Je ne vais pas rentrer ici dans le détail de cette aventure intime, néanmoins, dans ce périple de “chasseur” proche en esprit de Castaneda dont le livre “voir” me suit depuis que ma décision est prise, j’ai traqué le mental avec assiduité et hargne. Toute la difficulté - j’ai mis du temps à m’en apercevoir - c’est que la bestiole est au courant de vos plans puisque c’est lui qui les formule. Cependant, vous avez un avantage : votre détermination ! Votre volonté de le faire retourner à un rôle d’exécutant le tétanise !

Comment le mental prend le pouvoir

Souvenons-nous de son début de règne. A l’époque vous étiez une personne innocente, sûre que la vie vous sourirait et que tout irait bien. Vous étiez sur cette terre depuis quelques mois ou années et en vous, des émotions et quelques gentilles croyances en construction batifolaient joyeusement entre votre estomac qui apprenait à goûter la vie, votre cerveau qui la découpait en équations histoire de mieux s’en souvenir et votre cœur qui surveillait tout cela les yeux embrumés par tant de bonheur. La vie était belle !

Manque de chance, une peau de banane, un caillou dans la chaussure … Patatra un trauma ! Pas de veine !

Les émotions sont totalement débordées, l’estomac se retourne sur lui-même, le cœur va s’arrêter ! C’est la panique, plus personne ne gère ! Le cerveau, ayant quant à lui tout bien rangé dans ces petites cases, ne perd pas pied (si j’ose dire) très longtemps. Après quelques hésitations, l’hypothalamus met double dose sur les émotions ce qui les calme tout net, l’adrénaline est envoyée en masse au cœur afin qu’il reprenne ses esprits avant de lâcher, la porte de la cave “mémoire traumatique” est ouverte, coup de pied aux fesses du trauma qui dégringole piteusement les escaliers, la porte est claquée derrière lui. La fête est finie ! Tout est calme.

Tout ce petit monde a repris ses esprits et le mental, fier de lui, roule des mécaniques tout en ne boudant pas son plaisir d’avoir mis tous ces émotifs en ordre de marche. Et si tout cela était grâce à lui, et s’il les avait tous sauvés ? L’idée fait son chemin, il la confirme lors d’événements mineurs qui suivent cet épisode et … Prend le pouvoir ! Les autres, protégés, nourris, soignés y trouvent largement leur compte et ne proteste pas d’autant que l’adolescence arrive, alors il vaut mieux s’assurer un peu de stabilité.

Les années passent, tout ce petit monde se construit et le mental - qui a accès aux informations de chacun - prend de l’ampleur… Beaucoup d’ampleur. Trop !

Mental vs. mental

Donc, votre volonté (la vraie, pas celle du mental) lui fout une trouille bleue surtout qu’elle est dirigée vers lui et c’est là qu’il se découvre ! Il a peur parce qu’il a de la mémoire (rappelez-vous, il a des fiches) et il sait que si on revient en arrière on risque la panique et le trauma comme “dans le temps”. D’autant plus, qu’endormies par des années de son règne, les émotions manquent d’entraînement, le cœur ronronne et l’estomac a fini par apprendre à avaler n’importe quoi y-compris les couleuvres, quant aux poumons, ils croient normal d’inhaler du goudron à coups de cigarettes, donc “devoir travailler avec ces bras cassés non merci ! Je risque ma peau moi aussi !” Pense-t-il tétanisé tout en se souvenant des cadavres qui traînent dans la cave.

Il doit agir ! Préserver le groupe, sauver ses camarades, il se sent pousser des ailes et une auréole, il ne cédera pas. C’est là, au fond d’une vallée sombre, dans une nuit sans étoiles qu’il apparaît. Tel un Golum cramponné à son anneau, ses yeux brillent de toutes les mesquineries consenties au fil des années pour assoir son pouvoir. Car le pouvoir grise et sous prétextes de protéger, nombreux sont ceux qui ont été emportés du “mauvais côté de la force” : alliances contre nature avec le tabac ou l’alcool, petites vexations du quotidien, compromissions avec ses valeurs, corruptions par des forces chatoyantes et vides de sens, lentement il a laissé entrer en vous ce qui le protégeait de sa peur à lui : Mourir terrassé par un trauma sans même une larme des émotions ! Il se sait seul sur le toit du monde mais l’idée de redescendre avec les siens le paralyse. Injonctions contradictoires.

La panthère, en se laissant voir risque sa peau, le mental y croit. Chaque croyance contribue à l’enraciner dans un rôle trop grand pour lui, il pourrait nous être utile de travailler sur nos croyances avant qu’elles ne s’enracinent (dites-le à vos enfants).

Pour se protéger, il doit prendre en otages vos pensées, comme il l’a toujours fait. Mais, depuis quelques mois, la chasse vous a aguerri.e, vous distinguez de mieux en mieux les phrases qui, bien que dans votre tête, ne sonnent plus bien, vous dérangent, comme si elles ne vous appartenaient plus vraiment. Et puis un jour, au prix d’un effort plus grand, d’une concentration plus soutenue, il apparaît là, devant vous, presque terrassé et penaud, il était dans vos pensées mais, acculé il est devenu grossier, visible. Depuis quelques jours, vous vous êtes aperçu, ravi.e, que vos pensées avaient changé de forme, insidieusement, au lieu de penser un truc, elle s’était mise à narrer qu’elles pensaient un truc, comme si elles écrivaient un livre. Ça tombe bien, vous adoreriez écrire un livre, être connu.e, transmettre, … (Et l’ego se met sur le dos, ronronne et demande des grattouilles à cette simple évocation). Cependant, après quelques jours de ce régime autosatisfaisant, quelque-chose vient vous gratter l’oreille : la dissociation ! Votre mental est en train de se dissocier tout en vous jouant ramona pour vous enfumer ! Il se planque, se met en position de “grand reporter” afin de ne pas avoir à s’impliquer ! Il vous envoie en première ligne mais reste à l’abri. Il sait que le processus vise à le faire chuter alors il se sort du processus ! Horrible désillusion, depuis tout ce temps il vous a menti, trahi, abandonné. Mais après l’abattement, la colère monte, désormais, les pensées narratives seront interdites, pire, le silence est ordonné, son dernier forfait vous a donné la force qui vous manquait, il vacille, plie, pose un genou à terre, il rend les armes.

Changer

Le combat ne s’en est pas tenu à ça, il a duré au moins 3 semaines, 3 semaines à traquer chaque pensée dont je ne me sentais pas pleinement l’auteur, avec laquelle je ne me trouvais pas en accord complet. 3 semaines à me demander à quoi me servait telle pensée et d’où venait telle autre. 3 semaines à me détricoter, à me voir, me maudire et m’aimer, 3 semaines d’enfer pavé de bonnes intentions. Ce combat m’a mené dans des recoins peu recommandables et pas enviables du tout, mais pour dépoussiérer il faut y aller non ? Et puis un jour …

Et ce jour-là, vous pouvez tenter de l’achever (je vous le déconseille, il a quand même de nombreuses utilités) ou, plus sûrement, vous pouvez lui tendre la main, lui dire que ça n’est pas de sa faute et que tout ira bien maintenant, l’écouter d’une autre manière, comprendre ses besoins … Il vous croira … Parce qu’il sait qu’il n’est plus seul, que ceux qu’il a mis de côté pour les protéger sont désormais à ses côtés.

# Déshypnotisons-nous

(1) On appelle les « hauts potentiels » des « zèbres » parce que cet animal ne peut être dresser. Cette dénomination suggère à tous les hauts potentiels qu’ils ne peuvent pas changer, que jamais ils ne réussiront à apprivoiser leur cerveau bien trop sauvage. C’est faux ! Il est probable que cela soit plus compliqué, qu’il leur faille plus de temps, mais croyez-moi, c’est possible.

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Nouvelles de la Ferme Thérapeutique 5